Pérou

Qui a peur de Pedro Castillo ?

Pedro Castillo Terrones est loin d’être un messie, mais il est apparu « sorti de nulle part » dans la campagne électorale, comme s’il en était un. Avec les résultats du 6 juin dernier, il est sur le point de devenir le président le plus improbable du pays en raison de son origine de classe : c’est un paysan des zones montagneuses, devenu enseignant rural. 

Meeting électoral de Pedro Castillo, Sicuani, 1er juin 2021
Meeting électoral de Pedro Castillo, Sicuani, 1er juin 2021

Issu du corps enseignant, Pedro Castillo est arrivé sur la scène nationale en 2017, à la suite d’une grève combative des enseignant·e·s contre la direction du syndicat.  Son identité est plus « provinciale » et paysanne que strictement indigène. À partir de là, il a conquis l’électorat du sud des Andes et a également attiré, bien que dans une moindre mesure, le vote populaire à Lima. L’irruption de Castillo au premier tour – avec près de 19 % des voix – a suscité une véritable hystérie dans les secteurs aisés de la capitale. Conformément à la mode actuelle de l’anticommunisme zombie, elle s’exprimait par un « Non au communisme » généralisé, se manifestant même par des affiches géantes dans les rues. 

Le leader de son parti, Vladimir Cerrón, a défini le mouvement qui s’est rangé derrière Pedro Castillo comme une « gauche provinciale », par opposition à la gauche « caviar » de Lima. Le candidat de Perú Libre est un catholique « évangélique compatible » : sa femme et sa fille participent activement à l’Église évangélique du Nazaréen et lui-même se joint à leurs prières. Pendant la campagne, il s’est positionné à plusieurs reprises contre l’avortement ou le mariage pour tou·te·s. 

Des tentatives de déstabilisation par la peur

La candidature de Castillo a également été constamment victime du terruqueo (accusation de liens avec le terrorisme) en raison de ses alliances syndicales pendant la grève des enseignant·e·s et – étant donné son manque d’expérience préalable dans l’arène électorale – de ses propres faux pas lors des entretiens.

Comme l’a écrit Alberto Vergara dans le New York Times du 8 juin dernier : « Celles et ceux qui ont utilisé la politique de la peur de la manière la plus perfide sont ceux du camp pro-Fujimori, les classes supérieures et les grands médias. Les hommes d’affaires menaçaient de licencier leurs employé·e·s si Castillo gagnait ; les citoyen·ne·s ordinaires promettaient de mettre leurs domestiques au chômage s’ils et elles optaient pour Perú Libre ; les rues étaient remplies de panneaux envahissants payés par les hommes d’affaires mettant en garde contre ‹ une invasion communiste imminente › ». 

Quel avenir pour le Pérou ? 

L’incertitude d’un futur gouvernement Castillo n’a pas à voir, précisément, avec la constitution d’une « expérience communiste » de quelque nature que ce soit. Une « vénézuélianisation » telle qu’annoncée par ses détracteurs·trices semble également très improbable. Les forces armées ne semblent pas facilement maîtrisables ; le poids parlementaire du « castillisme » est limité ; les élites économiques sont plus résistantes que dans un pays purement pétrolier comme le Venezuela ; la structuration du mouvement social n’annonce pas un nationalisme révolutionnaire de type chaviste ou cubain.

Les déclarations du « professeur Castillo » témoignent d’un certain mépris plébéien pour les institutions, d’un manque de clarté quant à l’orientation du gouvernement et de visions de la répression de la criminalité qui favorisent l’extension de la « justice à la rondera » au reste du Pérou (un type de justice qui impose souvent divers types de punitions à ceux qui commettent des délits). Mais elles incluent également des discours renvoyant à une poigne de fer, comme on l’a vu lors des débats électoraux. La présence au gouvernement de « l’autre gauche » – urbaine et cosmopolite – peut fonctionner comme un équilibre vertueux entre le progressiste et le populaire. Néanmoins, elle sera aussi une source de tensions internes. 

Une « peur blanche »

La « peur blanche » de Castillo est liée, plus qu’à un réel danger de communisme, à la perspective d’une perte du pouvoir dans un pays où les élites ont évité le virage à gauche de la région et coopté ceux qui ont gagné avec des programmes réformistes. Pour le dire autrement, la « peur blanche » est la perspective d’un affaiblissement du système de pouvoir construit par les propriétaires d’haciendas avant la réforme agraire, et qui a perduré sous d’autres formes dans le pays. Personne ne sait si les élites seront, également, en mesure de coopter Pedro Castillo. Dans ce cas, le fossé de classe est plus profond que par le passé et le scénario est moins prévisible. La « surprise Castillo » est trop récente et il est un inconnu, même pour ceux qui seront ses collaborateurs·trices. Il est possible que la « tempête électorale » en annonce d’autres à venir si les élites veulent continuer à gouverner comme elles en ont pris l’habitude. 


Pablo Stefanoni
dirige la revue Nueva Sociedad
Article reproduit par le site Sin Permiso le 13 juin 2021. Traduction : À l’Encontre. Adaptation : Gabriella Lima