Euro : ivresse du capitalisme, gueule de bois planétaire

L'équipe de Suisse de football pose devant un avion de la compagnie Swiss

Le championnat européen de football fait partie de ces événements qui semblent prendre toute la place : par sa couverture médiatique, son impact financier et publicitaire, un Euro fait partie des moments de dépense forts du capitalisme. 

Repoussée pour cause de pandémie, la compétition a eu lieu cette année. Après le confinement, l’impression générale était celle d’un relâchement complet. Il y avait certes une euphorie populaire jouissive à pouvoir à nouveau se retrouver et festoyer. Mais face à la situation sanitaire et écologique actuelle, le choix des gouvernements pourrait s’avérer criminel, d’autant plus pour cette édition. En effet, cette dernière se déroulait simultanément dans onze pays différents pour marquer le soixantième anniversaire de la compétition. Ces pays avaient été choisis pour leur place dans ce sport (Espagne, Italie, Angleterre) ou pour leur générosité envers les institutions (Azerbaïdjan). Pour les équipes et leurs supporteurs·trices, il s’agissait donc de voyager constamment de pays en pays. 

Ainsi, la Suisse et ses fans ont parcouru en trois matches l’équivalent de 9650 kilomètres (Suisse-Bakou-Rome-Bakou), avant de partir pour Bucarest, puis Saint-Pétersbourg.

D’un point de vue sanitaire, pas besoin d’être un·e expert·e en épidémiologie pour comprendre que la concentration de la foule dans des stades et sa dispersion à travers plusieurs pays auront renforcé la circulation du variant Delta. C’est le cas avéré pour des supporteurs·trices français·es ou finlandais·es dont plusieurs ont été testé·e·s positifs·ves au retour d’un déplacement pour assister à un match. 

Les rares villes (Dublin, Bilbao) ayant fait preuve de précaution en refusant le public dans leur stade se sont vu signifier par l’Union of European Football Associations (UEFA) leur retrait de la liste des villes hôtes. Du côté de la Hongrie, Orban a pu fanfaronner en n’imposant aucune jauge dans les stades, sans que l’UEFA ne sourcille.

D’un point de vue écologique, le foot professionnel est de toutes façons incompatible avec l’urgence climatique, avec ses stades et les déplacements permanents qu’il implique. Il faut tout de même reconnaître au génie capitaliste sa capacité à toujours opter pour le pire. Cette édition aura été de loin celle impliquant le plus lourd bilan carbone. Face aux critiques, l’UEFA a sorti l’argument de la compensation carbone, mettant en lumière une fois de plus l’inanité du greenwashing : « on organise une compétition où il faut prendre constamment l’avion » « mais il y a urgence climatique… » « pas de soucis, on va planter des arbres ».

Même devant la beauté d’un contrôle de Benzema ou d’une transversale de Xhaka, difficile alors de se réjouir. S’acharner à consommer malgré le nombre de mort·e·s du Covid, malgré les personnes souffrant de symptômes longs, malgré l’épuisement du personnel soignant, malgré l’urgence climatique, ce ne peut être qu’un spectacle indécent. Cet Euro symbolise parfaitement cette indécence du capitalisme prêt à tout pour relancer la production et la consommation dans un rythme effréné. Le football business représente l’un des divertissements les plus lucratifs du capitalisme international, rien d’étonnant que tout ait été fait pour qu’il se déroule au plus vite. De l’ivresse populaire, ne reste rapidement plus qu’une gueule de bois qui risque bien de durer.

Pierre Raboud