Brésil

L’urgence du «Fora Bolsonaro» et d’un gouvernement de gauche

À l’heure où nous écrivons cet article, la pandémie a enlevé plus d’un demi-million de vies au Brésil. Un génocide selon les centaines de milliers de Brésilien·ne·x·s qui sortent dans les rues pour réclamer la fin du gouvernement négationniste de Bolsonaro.

Une manifestante lève une main peinte en rouge pour protester contre le gouvernement Bolsonaro au Brésil
Manifestation nationale anti-Bolsonaro #29M, São Paulo, 29 mai 2021

Les nombreux décès ne sont pas les seules séquelles de la gestion catastrophique de Bolsonaro : le taux de chômage bat des records et pousse de milliers de Brésilien·ne·x·s dans la misère, les interventions policières dans les bidonvilles se font de plus en plus nombreuses et meurtrières, les attaques contre les populations indigènes sont toujours plus violentes. Malgré la crise sociale, politique et économique, Bolsonaro avance son agenda néolibéral à coups de privatisations pour s’assurer du soutien de la bourgeoisie, alors que c’est dans les services publics que des investissements massifs sont cruciaux. 

Un ras-le-bol qui s’exprime dans les rues et les parlements

Les centrales syndicales, les partis de gauche et les mouvements sociaux ont pris la rue autour du mot d’ordre « Du pain, des vaccins et de l’éducation : Bolsonaro dehors ! ». Sortir Bolsonaro avant les élections d’octobre 2022 est devenu une question de vie ou de mort. 

Les quelque 800 000 manifestant·e·x·s qui se mobilisent toutes les 3-4 semaines au péril de leur vie témoignent de la réussite du front de gauche, mais aussi de l’affaiblissement du bolsonarisme comme projet politique. L’ampleur de la crise politique est telle que même des personnalités de droite et d’extrême droite se rendent aux manifestations et ont même signé une demande d’impeachment avec les partis de gauche. Cela s’explique en partie par l’ouverture d’une commission d’enquête sur les irrégularités dans la gestion de la pandémie par le président, qui a révélé une affaire de corruption présumée liée à l’achat du vaccin Covaxin. C’est maintenant au mouvement Fora Bolsonaro de se saisir de cette situation pour s’élargir et augmenter la pression sur tous les terrains. 

Lutter pour un gouvernement de gauche en 2022 

Il ne fait pas de doute que, sans Lula, il y a peu de chances de dégager Bolsonaro avant 2022. Or, celui-ci reste le grand absent des mobilisations. Il sait que lui seul peut battre Bolsonaro, et en profite pour mener des discussions avec la droite et les représentant·e·s des marchés financiers en vue des présidentielles. Pour le moment, il n’y a aucun·e·x concurrent·e·x sérieux·se à droite. Les derniers sondages montrent un Bolsonaro rejeté à 62,5 % et un Lula victorieux dès le premier tour. Dans ce contexte, Lula peut se permettre de laisser planer le doute d’une éventuelle alliance avec la gauche ou avec la droite en 2022. 

Le retour du métallurgiste sur la scène politique a complètement changé le rapport de forces car il oblige la gauche à repenser sa tactique électorale pour 2022. Dans la situation actuelle, si un gouvernement de gauche est possible, il faut lutter pour l’obtenir. Mais si la gauche combative ne peut pas faire sans le Parti des travailleurs (PT), elle ne doit pas rester acritique vis-à-vis de ses gouvernements, et encore moins faire des concessions sur le programme à défendre pour les élections. 

Une candidature unique réunissant tous les secteurs de la gauche et progressistes (PT, PSOL, PCB, PCdoB, PSTU, UP) est nécessaire, mais elle doit défendre un programme de réformes radicales, sans aucune alliance avec la droite. Ce programme devrait notamment comprendre la révocation des contre-réformes du travail, des retraites, la fin du gel des dépenses de l’État instauré sous Temer et l’abandon des privatisations des entreprises étatiques. Ces questions sont encore en discussion et méritent que l’on s’y attarde prochainement. Dans l’immédiat, les priorités de la gauche doivent être de préserver la dynamique unitaire autour du mouvement Fora Bolsonaro, de le construire et de lutter pour les besoins immédiats des classes populaires : l’impeachment, le vaccin et la pérennisation du revenu de crise. 

Le front unique électoral: un débat qui divise

L’option d’une candidature unique est défendue par une partie du Parti Socialisme et Liberté, mais elle est loin d’être partagée par tou·x·te·s. Deux autres orientations tactiques s’affrontent. D’un côté, il y a ceux et celles qui voudraient élargir encore le front électoral vers le centre-gauche. De l’autre, quelques courants minoritaires estiment que le PSOL doit présenter une candidature propre avec un programme anticapitaliste. 

Cette position pose problème. En effet, une candidature indépendante aurait pour effet de diviser la gauche, dans un moment où la dynamique unitaire est une vraie réussite. Considérer que l’on peut se passer de cette unité c’est sous-­estimer 1 la capacité de Bolsonaro à se faire réélire, voire la possibilité qu’il tente un coup d’État en cas de défaite, 2 la possible élection de Lula allié à la droite, 3 la capacité de la bourgeoisie à imposer une 3e voie : ni Bolsonaro ni Lula. L’isolement de Bolsonaro ne signifie pas que l’on peut se permettre de faire cavalier seul. Face à une menace autoritaire, c’est uni·e·x·s, et sur tous les terrains qu’il faut lutter.

Gabriella Lima