Brésil

Contre les ravages du feu, une indispensable réforme agraire

Ces dernières années, l’attention s’est focalisée sur la destruction des forêts en Amazonie. Pourtant, dans d’autres régions du Brésil, l’agro-industrie dévore et détruit tout. Cela n’est pas fortuit, mais résulte d’un accord politique.

Les incendies s’approchent de la capitale du Brésil, Brasilia, 15 septembre 2024
Les incendies s’approchent de la capitale, Brasilia, 15 septembre 2024
Ricardo Stuckert

Dans notre dernier numéro, nous avions évoqué les incendies massifs en Amazonie. Pourtant dans l’État de Piaui, de gigantesques incendies continuent de ravager la savane du Cerrado, un territoire grand comme la moitié de l’Union européenne, lui donnant parfois un aspect d’Hiroshima.

Autrefois riche écosystème, immense puits de carbone et bassin hydrographique vital, le territoire s’est transformé en immenses étendues de champs de soja, sorgho et coton, dont certains font 50 km de long, et sont la fierté des grands propriétaires terriens et agronégociants, les fazendeiros. Cette destruction de la nature n’a rien à voir avec les incendies naturels. Les forêts sont systématiquement détruites (30 % de perte depuis 2004) par des feux maîtrisés par et pour les maîtres de l’agro-industrie.

La dévoration

Ces fazendeiros sont des doctrinaires de l’agronégoce, climato-sceptiques et exploiteurs sans scrupules de la terre et de ses habitant·es. L’anéantissement du Cerrado est surnommé « la dévoration ». Cette destruction a entre autres réduit la surface hydrique du Brésil de 15 % depuis 1985. Bien entendu, les pesticides sont massivement utilisés – 600 millions de litres par année dans cette seule région, conséquence de ce type d’agriculture hautement mécanisée et destinée à l’exportation.

Conséquences : savanes livrées aux flammes, saccage de la nature, accaparement des terres, assèchement des cours d’eau, intoxication aux pesticides. Sous cet angle, l’écosystème du Cerrado est plus vulnérable que celui de l’Amazonie, car seulement 8 % de son territoire est protégé, contre la moitié pour l’Amazonie.

L’attitude complaisante de Lula

Cette menace semble étonnante, car l’État de Piaui, comme d’autres États du Nord-est, est gouverné par le Parti des travailleurs, le parti de gauche du président Lula. Pourtant, les autorités sont très conciliantes avec les fazendeiros, les autorisations sont officiellement et facilement délivrées. Pourquoi cette attitude ? La principale explication tient à un compromis négocié par Lula. Offrir aux rapaces de l’agronégoce le Cerrado en échange de la préservation de l’Amazonie. 

Lula sait que les tous les regards se portent sur l’Amazonie, des ONG à l’UE. Alors le Cerrado fait office de « substitution » pour l’agro-industrie. Le champ est libre pour saccager l’écosystème et imposer une agriculture hyper extensive, uniquement destinée à l’exportation vers l’Europe. Pour les règlements de l’UE, la protection de la savane n’est pas incluse dans la déforestation. Dans l’état actuel le pire est sans doute à venir.

La déforestation est aujourd’hui une des étapes indispensables pour permettre à l’agriculture industrielle de gagner de nouveaux territoires sur des surfaces énormes dans le but de continuer à développer des monocultures par des méthodes intensives (mécanisation, chimie) et s’insérant dans une mondialisation de la production agricole. Cela constitue une « réforme agraire » en faveur de ces nouveaux capitalistes.

Croire qu’un tel modèle peut être régulé tient de l’illusion. Face à la puissance et aux intérêts des capitalistes du secteur (car ce ne sont plus des agriculteur·rices), les législations et les appels vertueux au respect de la biodiversité et des forêts tropicales restent lettre morte.

Relancer une stratégie
de réforme agraire

La réalisation de réformes agraires est une autre alternative, surtout lorsqu’elle s’appuie sur les mouvements de paysans sans terre (MST) et d’ouvriers agricoles appauvris, premières victimes de ce développement industriel.

Une réforme agraire « par en-bas », c’est-à-dire qui met en priorité les intérêts des couches populaires, est une précondition pour réaliser une protection de l’environnement qui respecte à la fois la justice sociale et la justice climatique.

Ce type de réforme agraire implique l’expropriation des compagnies de l’agro-négoce, et un changement du type de propriété. Mais une simple redistribution reste insuffisante. La mise en place d’une planification écosocialiste est indispensable pour permettre la reconversion de la production agricole. Cette orientation implique aussi de sortir d’une logique de marché et de compétition, afin de garantir des prix (et donc un niveau de revenus pour les producteur·ices), de définir les types de cultures à favoriser et des réserves pour faire face aux aléas naturels. Le retour à un développement agroécologique permettra ainsi de mettre fin à la déforestation, par un contrôle public et populaire, par une démocratie participative et réelle sur les choix agricoles dans les collectivités locales, et assurera aussi un retour à des territoires non-productifs.

L’expropriation se ferait sans indemnités bien entendu. Cela au titre de réparations pour les dégâts directs et indirects que ces compagnies ont causé aux populations et à la nature. 

Cela représente donc un projet bien plus vaste que « la protection de l’environnement ». S’il n’y aura pas de révolution en terre rasée, il n’y en aura pas plus sans réforme agraire radicale.

José Sanchez