Brésil

Des mouvements sociaux soulagés, mais vigilants

Du 11 au 22 novembre, l’ONG helvétique active dans la solidarité internationale E-CHANGER a organisé le voyage d’une délégation solidaire suisse au Brésil. Maimouna Mayoraz, salariée d’E-CHANGER et militante de solidaritéS, nous livre son analyse à chaud. 

Grande réunion des mouvements sociaux au Brésil
Rencontre avec la Centrale des mouvements populaires et la CEPROCIG, périphérie de São Paulo, 13 novembre 2022.
Douglas Mansur

Pourquoi E-CHANGER a organisé le voyage de cette délégation solidaire de 20 personnes au Brésil ?

E-CHANGER travaille avec plusieurs mouvements sociaux au Brésil dont l’importance est majeure dans le pays, et souvent au-delà : le Mouvement des sans-terre (MST), le Mouvement des travailleurs sans-toit (MTST), la Marche mondiale des femmes, la Centrale des mouvements populaires (CMP) ou encore le Service de coopération pour le peuple Yanomami (Secoya). 

Ce voyage permet de rencontrer ces militant·e·s luttant pour la justice sociale sur des enjeux d’importance globale, avec des répertoires d’action riches en enseignements. Ce voyage fait également partie de notre stratégie de sensibilisation, dans le sens où la rencontre et l’échange sont extrêmement efficaces pour créer des réseaux internationaux durables. Sans compter que ce voyage était accompagné de toute une stratégie de retours d’informations. 

Après quatre ans de présidence de Bolsonaro, qui a aggravé une épidémie de Covid dont on peine à imaginer la violence, la destination paraissait représenter de façon particulièrement saillante les défis que rencontre la solidarité internationale. Bien sûr, il faut souligner que le voyage, curationné pour notre délégation par le coordinateur d’E-CHANGER et les organisations partenaires, est nécessairement incomplet. 

Comment ont évolué les mouvements sociaux durant ces quatre dernières années ?

La présidence de Bolsonaro a été un fléau terrible pour l’immense majorité de la population brésilienne, et en particulier pour les plus pauvres. Les mouvements sociaux y ont subi une répression immense, qui s’est traduite par des mesures administratives (fermetures d’écoles gérées par le MST par exemple), la constance de discours haineux justifiant la violence à l’égard des minorités, la perte de subventions, mais aussi des assassinats.

Mais si ce gouvernement a aggravé dramatiquement la crise sociale que connait le Brésil, celle-ci lui préexiste. La crise de 2008, puis les politiques d’austérité drastiques mises en place dès le gouvernement de Dilma Roussef, en particulier lors de sa deuxième législature en 2015, que ses successeurs n’ont cessé d’approfondir, ont enfoncé de larges pans d’une population déjà précarisée dans l’extrême pauvreté. C’est aussi dans ce contexte que les mouvements sociaux se remobilisent, confrontés notamment au retour massif de l’insécurité alimentaire dans le pays, qui touche aujourd’hui 55 % de la population parmi lesquels 15 % (33 millions de personnes) souffrent quotidiennement de la faim.

Comment ces mouvements envisagent l’arrivée de Lula au pouvoir ?

Avec soulagement bien sûr, même si l’on constate que le soutien à sa campagne s’est davantage construit sur une analyse rationnelle de la conjoncture plutôt que sur une confiance aveugle. Les mouvements sociaux ont soutenu la candidature de Lula de toutes leurs forces, dans la mesure où il était le seul capable de vaincre Bolsonaro. Mais ils restent globalement désillusionnés à l’égard de la politique parlementaire, même si certains, comme le MST, ont présenté des candidat·e·s au Sénat. Ils se méfient du reste fortement de la récupération politique dont ils pourraient faire l’objet. Dans une large mesure, et dès leurs débuts, ces mouvements se sont substitués à l’État en mettant en œuvre des programmes sociaux de la base pour la base, dans une logique qui touche à la survie. Le système est très éloigné d’une forme de charité, dans la mesure où il est organisé autour de personnes pauvres venant en aide à d’autres personnes pauvres. La question de la communauté est essentielle, générant l’entraide et stimulant la solidarité de classe.

Le Brésil est d’ailleurs souvent considéré comme le berceau de l’action communautaire. Il y a ainsi un côté très « total » à la politique, qui est partout, tout le temps, comme la fête et la communauté, bien qu’il faille se garder de romantiser ce pouvoir de résilience. Mais on voit clairement ces tentatives des mouvements sociaux de créer des sociétés dans la société, qui n’abandonnent pas pour autant l’objectif d’améliorer cette dernière. 

L’exemple de l’école du MST, qui propose des formations qui vont jusqu’au niveau universitaire et qui mêle technique, théorie et politique, est une bonne illustration de ce double objectif. Les gens s’y forment techniquement, ce qui leur permet d’accéder plus facilement à l’emploi, mais aussi politiquement, pour participer à l’émancipation collective. Tout cela maintient et consolide une base très forte, qui oriente l’action de ces organisations, ce qui explique aussi l’adhésion qu’elles rencontrent en retour.

Propos recueillis par la rédaction