Brésil
Entre solidarités concrètes et construction d’une réponse politique
E-Changer, organisation active dans la coopération par l’échange de personne, a organisé fin avril une rencontre de ses organisations partenaires au Brésil. L’objectif de cette séance était de pouvoir dialoguer autour des enjeux liés à la crise sanitaire majeure que traverse le pays.
Toutes les organisations présentes, quel que soit leur public cible, partagent une même analyse de la crise actuelle liée au Covid-19. Celle-ci est vue comme une composante en plus de la crise politique et sociale que traverse le pays causée par la politique fascisante menée par le gouvernement de Jair Bolsonaro. La MMF constate qu’il est important de ne pas perdre de vue le caractère global de la crise. Bien plus qu’une crise sanitaire, c’est une crise économique qui attend le pays dont le PIB représente un tiers de celui de l’Amérique latine.
Selon l’IBGE (Institut brésilien de géographie et statistique), 4,9 millions de personnes ont été au chômage entre février et avril, et les secteurs les plus importants sont le commerce (– 1,2 Mio), la construction (– 885 000) et les services domestiques (– 727 000). Le gouvernement estime que le PIB brésilien va chuter de 4,7 % en 2020, ce qui représente la pire récession annuelle depuis au moins 120 ans. Selon beaucoup d’organisations, le risque d’une crise alimentaire est bien réel.
Ce seront bien sûr les populations marginalisées, déjà très affaiblies par la pandémie, qui seront impactées démesurément par cette crise économique. Pour Sindomesticos, « les mesures prises par le gouvernement visent la protection du capital, pas des travailleuses et travailleurs ». Le secteur du travail domestique, dont les travailleurs et travailleuses sont majoritairement non-blanc·he·s est particulièrement à risque. Comme le prouve un rapport de la CONEN d’avril 2020 les inégalités raciales restent endémiques au Brésil. La présidente du syndicat parle de « ces processus discriminatoires qui visent des personnes à la fois dans leur race, leur genre et leur classe » rendant les femmes noires particulièrement à risque. Celles-ci sont en effet souvent actives dans l’économie informelle.
Concernant la violence domestique, les organisations féministes sont très inquiètes. Depuis le début de la pandémie, les féminicides auraient doublé dans l’État de Sao Paulo. La MMF estime que « l’important est que les personnes puissent accéder aux outils de dénonciation par internet, de pouvoir publier et accéder au réseau afin que l’accompagnement puisse se faire aussi virtuellement, notamment pour les femmes victimes de violence et celles qui sont touchées dans leurs revenus ». Quant aux peuples autochtones, qui luttent déjà sans répit contre l’accaparement de leurs terres, plus de 1100 cas pour 45 décès ont été déclarés en leur sein. Des personnes autochtones ont également coupé des routes afin d’empêcher orpailleurs, bûcherons et multinationales de prendre possession d’encore plus de terres.
Pour pallier ces urgences vitales, la société civile a mis en place des mesures de solidarité concrète. Distribution massive de nourriture et biens de première nécessité (le MST parle de 500 tonnes de nourriture reçues de la part de leurs campements), la mise en place d’outils de communication et de mise en réseau adaptés aux besoins (radio dans les campagnes, plateforme d’aide, etc.)
En plus de cette solidarité concrète, les organisations réunies fin avril soulevaient également l’importance de s’organiser collectivement et en plateforme afin de lutter de la manière la plus efficiente possible contre cette crise à plusieurs visages et se préparer pour l’après. C’est maintenant chose faite. En effet, 7 partis de gauche et plus de 400 mouvements sociaux, dont des mouvements autochtones, ont déposé un projet d’impeachment de Jair Bolsonaro. Pour notre camp politique, cet exemple de la création d’un front large et uni de gauche contre une politique néolibérale et autoritaire doit nous inspirer. La conjonction des actions de solidarité concrète et de la construction d’un front large à même de créer un rapport de force suffisant apparaît actuellement comme une réponse adéquate à cette pandémie.
Maimouna Mayoraz
Organisations partenaires
SECOYA, peuples Yanomami; Marcha Mundial de Mulheres Brasil – Marche Mondiale des Femmes Brésil ; Movimento dos Trabalhadores Sem Teto – Mouvement des travailleurs sans toit ; Movimentos dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST) – Mouvement des travailleurs Sans Terres ; Centro de Agricultura Alternativa Vicente Nica (CAV) – Centre pour l’Agriculture Alternative Vicente Nica ; Central de Movimentos Populares (CMP) – Centrale des mouvements poplaires ; Sindomesticos Bahia – syndicat de travailleurs et travailleuses domestiques Bahia.