L’USS et les droits syndicaux

La faillite d’une stratégie

Des décennies après avoir signé les conventions 87 et 98 de l’OIT, la Suisse ne protège toujours pas les travailleurs·euses des licenciements antisyndicaux. Ce qui n’empêche pas les conseillères et conseillers fédéraux·ales de tenir de beaux discours lors de l’ouverture des sessions de l’OIT. Et l’USS de se retrouver le bec dans l’eau. 

Rassemblement d'Unia à la vallée de Joux
Rassemblement de soutien au délégué syndical licencié Mickaël Beday devant l’entreprise Dubois & Dépraz à la vallée de Joux, juillet 2019

Dans un éditorial de L’Événement syndical du 23 juin, Sylviane Herranz dresse le bilan désastreux en matière de droits syndicaux de la Suisse du partenariat social. Elle met en relief l’hypocrisie du gouvernement sur ce point, qui joue ouvertement la pendule depuis des années. Manque toutefois le constat, tout aussi désastreux, de la stratégie suivie par l’Union syndicale suisse (USS) sur ce point.

En 2009 déjà, soit six ans après le dépôt d’une plainte de l’USS contre le gouvernement suisse pour absence de protection des salarié·e·s contre les licenciements antisyndicaux, Vasco Pedrina, ancien dirigeant d’Unia et de l’USS, alors chef de la délégation des travailleurs et travailleuses de Suisse à la Conférence internationale du travail, tonne : « L’USS rappelle à la conseillère fédérale Leuthard que l’on ne peut pas éternellement traîner les pieds. » Dans le genre« retenez-moi, où je vais me fâcher ! », il poursuit : « Pour l’USS, une chose est claire : cette politique qui consiste à toujours reporter à plus tard la résolution de ce problème et à se cacher derrière les patrons, leur accordant ainsi de facto un droit de veto, doit prendre une bonne fois fin. »

L’USS menée en bateau

Tétanisés, certainement, par ces mâles propos, patronat et gouvernement suisses se hâtent de ne rien faire et de ne pas appliquer les recommandations du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT), formulées dès 2004, qui demandaient à la Confédération de mettre ses lois en conformité avec la convention 98, signée en 1999. Mieux, la même année 2009, après le coup de gueule de Pedrina, l’USS suspend sa plainte, au motif que le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de modification du Code des obligations renforçant la sanction en cas de licenciement abusif.

Six ans plus tard, l’USS rugit une fois de plus et réactive sa plainte. Entretemps, les cas de licenciements syndicaux se sont accumulés. En réponse, le Conseil fédéral constate qu’il n’y avait pas eu de consensus sur l’avant-projet et commande… un nouveau rapport approfondi à l’administration sur cette question. Après tant de bonne volonté, la Suisse finit par figurer sur la liste noire de l’OIT. Liste dont elle sortira, avec l’approbation de l’USS, sur la promesse de Guy Parmelin de mettre en place une médiation, avec des expert·e·s de l’OIT. En 2021, la médiation n’a toujours pas donné de résultats. Beau travail, messieurs les dirigeants de l’USS ! On sait visiblement se faire respecter à la Monbijoustrasse.

On pourrait en effet ricaner ouvertement de tant d’incurie syndicale si ce qui était en jeu n’était pas aussi fondamental. Car il est crucial, pour le mouvement syndical, de posséder une forte présence dans les entreprises et d’être capable de la protéger. Sans cela, il n’est qu’une coquille vide, ballotée au gré du bon vouloir patronal. La capacité de mobilisation et d’agitation des syndicats au cœur des entreprises, malgré tous les obstacles conventionnels, légaux ou autres, est au fondement de l’action de défense des salarié·e·s.

Lors du licenciement antisyndical de Mickaël Béday, dans l’horlogerie, Pierre-Yves Maillard, actuel président de l’USS, est venu soutenir la manifestation de protestation à la vallée de Joux. Il y a défendu non pas les droits syndicaux, mais le partenariat social et la participation des salarié·e·s, mis en danger par ce genre de licenciements. On appelle ça donner des verges pour se faire battre.

Daniel Süri

Unia Vaud fait le ménage

Anaïs Timofte, présidente du POP vaudois et ancienne secrétaire syndicale chez Unia Vaud, attaque son ex-employeur pour licenciement abusif. À l’appui de sa démarche, elle révèle une situation professionnelle tendue, où plusieurs secrétaires syndicaux·ales ont été licencié·e·s, ont démissionné ou sont en congé maladie de longue durée. En 2018, l’inspection du travail avait souligné « l’existence de risques psychosociaux importants dans les rapports de travail entre les secrétaires syndicaux et la hiérarchie ».

Si l’on ne saurait exclure la dimension politique de ce conflit – moins à cause de l’appartenance d’Anaïs Timofte au POP que pour son appui à un autre dissident exclu, Laurent Tettamanti – il met en évidence la contradiction latente de la fonction de secrétaire syndical·e, employé·e du syndicat, mais aussi militant·e, à qui la hiérarchie bureaucratique demande souvent beaucoup sans compensation en retour. Le management moderne dont se revendique Unia l’assimile à une entreprise comme une autre. Et pas nécessairement parmi les plus bienveillantes. DS