La droite se tamponne du bien commun

Le Parti socialiste, les Vert·e·s et des syndicats ont lancé un référendum contre la suppression d’une partie de ce qu’il reste du droit de timbre, un impôt payé par les grandes entreprises. 

Un banquier devant le siège d'UBS à Zurich
En 2020, UBS a augmenté ses fonds propres de 5 milliards de dollars, opération soumise au droit de timbre. Contrairement au 1,3 milliard de dividendes payés aux actionnaires cette année-là.

Les droits de timbre ont été introduits en Suisse il y a plus de cent ans à la suite d’une votation. Ils sont au nombre de trois : celui de négociation (achat et vente de papiers-valeurs), celui sur les primes de certaines assurances et celui d’émission (d’actions ou de parts sociales d’entreprises). C’est l’abolition de ce dernier qui est combattue par référendum, mais les partis bourgeois veulent tous les supprimer. Enfin, ce qu’il en reste, car depuis la fin du siècle dernier, ils ont subi de nombreuses réductions. Notons au passage que cette suppression faisait déjà partie de la Réforme de la fiscalité des entreprises III (RIE III), refusée par les citoyen·ne·s en 2017, et qu’elle était l’un des seuls éléments de ce projet à ne pas faire partie de la RFFA.

Actuellement, le droit de timbre d’émission sur le capital propre est de 1 %, taux qui, selon Hans-Rudolf Merz, ancien conseiller fédéral pourtant bien de droite, « est à peine sensible pour les personnes concernées » et rapporte pourtant autour de 250 millions de francs par an aux caisses de l’État. Sa suppression réduirait encore la participation des sociétés financières et des grandes entreprises à la collectivité, elles qui ne paient ni impôt sur les gains en capital ni TVA sur les transactions financières. Sans parler des niches fiscales obtenues avec la RFFA. Inutile de préciser que cette perte pour l’État devra être compensée, soit par une augmentation des taxes pour les petits revenus, soit par une baisse des prestations sociales. 

Austérité en vue

Si la suppression du droit de timbre s’inscrit dans le temps long de l’offensive néolibérale de la droite au profit de ses bailleurs de fonds – banques et grandes entreprises – elle semble tomber à un mauvais moment, la crise actuelle ayant démontré un peu plus clairement l’utilité de la dépense publique. 

Pour faire face à la crise économique liée à la pandémie, la Suisse s’est endettée, certes pas à la hauteur des dégâts, mais le gouvernement a tout de même lâché plusieurs dizaines de milliards. C’est le cas de nombreux États de la planète. La bourgeoisie y a trouvé son intérêt. Elle commence désormais à mettre en place sa « stratégie du choc » : exiger le remboursement rapide de ces dettes pour imposer son modèle néolibéral dont les politiques d’austérité sont un pilier. La CDU/CSU allemande l’annonce par exemple clairement dans son programme pour les élections de septembre. Alors même que la sortie de la pandémie n’est pas en vue. 

Si le référendum aboutit, une défaite dans les urnes permettrait à la droite de relancer sa politique : dérouler les nombreux projets de diminution de la fiscalité déjà sur la table et élaborer d’autres niches fiscales pour mettre le capital suisse à l’abri du projet de l’OCDE d’une taxation mondiale sur le bénéfices des entreprises. C’est tout l’enjeu de la récolte de signatures dans laquelle nous devrions nous engager.

Niels Wehrspann

Multinationales taxées au poids ?

Lors de débats parlementaires en vue de ficeler la RIE III, plusieurs propositions de niches fiscales avaient été envisagées. Le Genevois Guillaume Barazzone, conseiller national PDC, avait demandé qu’on en examine une qui profiterait au transport maritime. L’obligé de Diego Aponte, PDG de MSC, deuxième armateur mondial, proposait d’introduire dans le droit fiscal une « taxe au tonnage ». Celle-ci remplace l’imposition sur le bénéfice des sociétés maritimes par un calcul forfaitaire dégressif sur le volume de fret des navires, multiplié par le nombre de jours d’exploitation. Le montant obtenu est ensuite soumis au taux d’imposition ordinaire. 

Cette proposition n’avait finalement pas été intégrée à la RIE III, mais, en février 2021, le Conseil fédéral a mis en consultation un projet de loi qui vise à adopter cette taxe au tonnage, en ajoutant la possibilité d’une diminution du forfait en fonction du niveau d’émissions des navires. Cette clause est du pur greenwashing, car les chiffres annoncés ne réduiront qu’à la marge les émissions d’une industrie extrêmement polluante.  

Le but avoué de cette réforme est d’attirer des entreprises étrangères. L’objectif est surtout d’ajouter une nouvelle niche fiscale pour les grandes entreprises. Si le Conseil fédéral ne s’embarrasse même pas de chiffrer les pertes fiscales potentielles, une enquête d’un consortium international de journalistes, citée par l’émission Mise au point de la RTS (11 avril 2021), a démontré qu’un bateau de croisière de MSC, soumis à la taxe au tonnage à l’étranger, a payé un impôt équivalent à seulement 0,08 % des bénéfices réalisés. NW