Roger Federer, champion en logique capitaliste
Le héros national est un modèle décomplexé pour la bourgeoisie, entre écocide et évasion fiscale.
«Federer et la Suisse romande, une histoire d’amour » titrait le Matin-Dimanche du 16 mai dernier à la veille du Gonet Geneva Open. La suite nous a privé·e·s de la pleine et coûteuse page de publicité dont est assortie chaque célébration d’une victoire du nouveau héros helvète. Une montre de marque suisse est souvent donnée comme le témoin de l’exploit, associant la carrière de son auteur à l’histoire de l’entreprise.
En Grèce ancienne, cette fonction d’éloge était assumée par un poète, tel Pindare, et par son ode ; elle était chantée rituellement par un chœur de jeunes citoyen·ne·s au retour de l’athlète victorieux aux jeux panhelléniques.
Sans doute la substitution au chant choral d’un placard publicitaire est-elle un signe de la marchandisation même des exploits athlétiques les plus remarquables. Elle relève d’une idéologie dont le nouveau héros n’a pas manqué d’épouser les principes. Dans une carrière très individualiste, il a su tirer des revenus considérables autant de ses incontestables prestations sportives que d’une publicité complaisante, outre des marques de luxe, pour une grande banque d’affaires, qui s’illustre écologiquement par ses investissements massifs dans le charbon et les hydrocarbures, et pour une marque de vêtements dont une partie semble être produite en pays ouïghour. Une enquête récente du magazine Forbes nous le confirme : non seulement Federer est désormais en tête du classement des athlètes les mieux payé·e·s dans le monde, mais ses contrats de sponsoring lui permettent de doubler ses revenus annuels.
Roi de l’évasion
Or, le héros national s’est empressé de soustraire le patrimoine ainsi acquis à l’impôt exigé dans la ville qui avait assuré sa formation. Sans compter Dubaï, il lui a longtemps préféré l’un de ces paradis fiscaux internes où il résidait en compagnie d’anciens directeurs de banque coupables autant de spéculations financières destructrices que d’encouragements à la fraude fiscale. Mais, en somme, il ne fait là qu’obéir au principe de la concurrence marchande au profit des plus riches dont presse et publicité se font les relais pour mieux nous les imposer.
« Besoin de vacances sans souci ? » c’est ce que nous propose Swiss Tourisme pour cet été par la voix et l’image de Roger Federer à Zermatt. Lui a passé ses dernières vacances d’été en Méditerranée sur le yacht du richissime Bernard Arnault, le PDG de LVMH. Retour donc à la poésie grecque avec Solon : « Quant à nous, nous n’échangerons pas la valeur contre la richesse : la première est stable, la seconde est changeante ».
Claude Calame