Petits cataclysmes modulaires

« Macron fait du nucléaire un débat de campagne », titrait Le Monde. Le président français présentait un projet de mini-réacteurs nucléaires pour lutter contre le dérèglement climatique.

Manifestation contre la centrale du Bugey
Manifestation à l’occasion des 50 ans de la première manifestation contre la centrale nucléaire du Bugey, France, 3 octobre 2021.

Assistons-nous à une renaissance du nucléaire, présenté comme une solution d’avenir 10 ans après la catastrophe de Fukushima ? La France est un cas particulier en Europe. C’est le pays qui concentre le plus grand parc de centrales nucléaires en activité avec 56 unités (aux États-Unis il y en a 93) et celui où le gouvernement propose un plan massif de construction d’installations basées sur une nouvelle technologie, le « small modular reactor » (SMR). Il s’agit d’unités de production d’électricité de moindre puissance (environ 340 MW) que les unités actuelles ou celles des futurs réacteurs de type EPR (1 à 1,7 GW). Les SMR sont censés être plus faciles à fabriquer et moins coûteux.

Présentés comme une solution d’avenir pour produire l’électricité sans émissions de CO₂, les SMR présentent plusieurs inconvénients majeurs.

Le petit réacteur qui en cache un autre

Leur mise au point prévue ne se ferait pas avant une quinzaine d’années, au mieux. Un seul prototype existe déjà en Russie, ce qui n’est pas exactement le meilleur lieu pour leur développement. Ce long délai ne répond donc pas à l’urgence d’une réduction rapide des émissions de CO₂.

En outre, leur puissance limitée ne permet pas de les envisager comme unités de remplacement des centrales existantes et vieillissantes. Les responsables français ont d’ailleurs présenté les SMR comme un produit d’exportation, et davantage comme une source de revenus : « objectif premier : proposer à l’export un produit standardisé » déclarait un directeur de projet d’EDF (Le Monde, 8 octobre 2021).

Il apparaît que cette solution vise principalement à réhabiliter l’atome comme source énergétique et à convaincre l’opinion publique de la nécessité de persévérer dans cette voie afin de prolonger la durée de vie des installations actuelles puis leur remplacement par des réacteurs de « nouvelle génération » de type EPR.

Bon marché ?

Le chantier de l’EPR de Flamanville-3 en France illustre toutes les aberrations de cette technologie : les retards accumulés (la centrale aurait dû entrer en service en 2012, il est désormais prévu qu’elle soit active au plus tôt en 2023), le dépassement gigantesque du coût initial (celui-ci a été multiplié par trois et atteint actuellement la somme faramineuse de 11 milliards d’euros), le manque de maîtrise de la sécurité à assurer.

À tous ces handicaps s’ajoute l’absence de solution fiable pour le traitement des déchets hautement radioactifs. Rappelons qu’il ne s’agit pas de déchets ordinaires, mais de matériaux en grand nombre et d’un volume conséquent (le combustible et les parties essentielles du réacteur). Le démantèlement de ces installations sont des chantiers gigantesques dont la maîtrise et le financement sont loin d’être résolus.

Faible risque ou grand danger ?

Enfin, toute cette opération de réhabilitation occulte le principal problème de l’usage civil du nucléaire : les conséquences d’un accident plus ou moins grave.

Le cas de Fukushima est totalement passé sous silence. Le Japon était censé présenter toutes les garanties de sécurité que l’ancienne URSS ne pouvait réaliser.

Un accident dans une centrale nucléaire avec l’émission de nuages radioactifs contamine gravement des zones habitées pour de très longues périodes. Il ne s’agit pas d’un risque, comme le présentent ses partisan·e·s, mais d’un grave danger qu’il s’agit d’éviter en renonçant à toute nouvelle construction et en arrêtant rapidement les installations actuelles.

Avec le vieillissement et l’usure inévitables des parties les plus sensibles des centrales, celles-ci représentent au fil du temps un danger croissant. L’âge moyen des réacteurs est de 35 ans en France, et de 40 ans aux États-Unis. Il est par conséquent totalement irresponsable de continuer à promouvoir cette technologie et à la présenter comme « sûre » et « maîtrisée ». Si les calculs de probabilités de risque avaient été valables, les accidents de Tchernobyl et Fukushima n’auraient jamais dû se produire. Et sans le sacrifice de centaines de technicien·ne·s et de sauveteur·euse·s, les conséquences de ces catastrophes auraient été beaucoup plus dramatiques. Le risque est statistiquement faible, mais les conséquences sociales inacceptables.

Le nucléaire n’est donc pas une option envisageable dans une perspective éco-socialiste. Ses coûts vertigineux, la production de déchets hautement radioactifs et ses dangers inadmissibles en font une technologie à bannir de l’horizon énergétique le plus vite possible. Le poids du démantèlement et des déchets qui pèsera sur les générations futures est déjà assez lourd comme ça.

José Sanchez