Clendy-Dessous, matérialisation controversée d’un capitalisme foncier

Voilà près de deux semaines que des militant·e·s climatiques se sont installé·e·s sur le site de Clendy-Dessous à Yverdon-les-Bains (VD), menacé par une large intervention immobilière soutenue par le secteur privé et la municipalité rose-verte.

Quartier occupé de Clendy-dessous, Yverdon
La friche urbaine de Clendy-Dessous après la manifestation

Contrairement au discours de la municipalité et des promoteurs, le site de Clendy n’est pas une friche vide, elle est habitée par des dynamiques patrimoniales et informelles qui ne peuvent qu’échapper à la logique marchande : au sud de la parcelle, une rangée de bâtiment médiévaux atteste des limites du lac de Neuchâtel d’il y a 800 ans ; à l’est, un large parc aux conifères anciens ; au centre, une maison de contremaître remarquable du début du siècle devant laquelle les occupant·e·s ont dressé une banderole pour le droit à la ville, une conjugaison d’interventions spatiales historiquement situées reconnue à l’ISOS, l’inventaire fédéral des sites protégés.

Toujours habité au fil des années par des logiques informelles, qu’elles soient animales, végétales ou humaines, le site est depuis 10 jours entièrement investi par les occupant·e·s faisant ainsi perdurer son identité alternative.

Si rien n’est fait d’ici juillet, il n’y aura plus aucune trace de vivant sur ce lieu. Car ce n’est pas un projet immobilier « respectueux » ou « écologique » qui s’apprête à être mis en œuvre mais bien la traduction concrète d’un investissement qui a pour seul paramètre la captation de rente foncière.

Les revers de la densification

Ne nous attardons pas sur les conflits d’intérêts de l’ancien syndic PLR ayant racheté 30 % des terrains avant leur changement d’affectation, dégageant un profit faramineux sur la base d’aucun travail concret.

Le projet a été récupéré par la nouvelle municipalité rose-verte qui s’est permis de repeindre l’intervention comme moyen de combattre l’étalement urbain et la pénurie de logements par le truchement de la densification. Seulement, la densification n’est pas un outil infaillible, son utilisation peut engendrer des effets « rebonds » contraires aux intentions des pouvoirs publics, effets qui semblent écartés ou méconnus par la municipale verte pourtant urbaniste. Plus que le manque de densité, c’est la représentation négative des villes par les habitant·e·s qui pousse les ménages à se relocaliser dans des zones périurbaines participant au mitages des paysages et des zones agricoles. Dans le cas de Clendy, un lieu traversé par l’histoire possédant un potentiel important qui serait de nature à favoriser des représentations positives de l’urbain fera place à une intervention immobilière ne tenant en aucun cas compte de la complexité des lieux.

La densification sous cette forme, c’est tout simplement un délitement de l’urbain qui aura pour effet de densifier un peu plus la ville et repousser les dégoûté·e·s des milieux urbains dans les milieux dits périurbains.

Pour mieux comprendre en quoi le projet de la ville d’Yverdon échoue à proposer une densification souhaitable, il faut se pencher sur les caractéristiques matérielles du futur quartier : neuf « barres » de trois étages traversent le site de nord en sud, découpant les anciens potagers et parcs en rangées de jardins privatifs étroits et sans qualité.

Corollairement à la péjoration de la qualité urbaine, les sols et la végétation enrichis par plusieurs années de friche seront entièrement imperméabilisés et appauvris par les excavations nécessaires à la construction des bâtiments et d’un parking souterrain. L’imperméabilisation des sols aura ici pour effet de faire passer le site d’un vivier de fraîcheur à un îlot de chaleur dégradant la qualité de vie des habitant·e·s du quartier.

Une autre densification est possible

Le projet pour Clendy-Dessous souffre de la gourmandise de ses investiseurs·euses. Si la municipalité décidait de réellement intervenir pour lutter contre le mitage tout en mettant en valeur ses espaces urbains, elle reverrait singulièrement le nombre de mètres carrés construits à la baisse et forcerait les promoteurs à respecter la trame historique des lieux en préférant une implantation analogue à celle observable sur les bâtiments médiévaux au sud la parcelle.

Une intervention architecturale n’arrive jamais dans un vide. À Clendy, on trouve déjà : des maisons presque neuves, des jardins potagers, des arbres fruitiers et des conifères. Une intervention qui axerait sa démarche autour de la résilience ne saurait mettre de côté la valeur patrimoniale et fonctionnelle de ces éléments.

A contrario, la démarche choisie ici par la municipalité est celle de la « tabula rasa » ignorant tous les éléments contextuels et, de ce fait, transformant le site en un simple aspirateur à rente foncière, un quartier stérile et morbide dépossédé de son identité qui créera ni lien social, ni résilience. Mais qui actera spatialement l’hégémonie des logiques de division du capitalisme foncier.

Martin Peikert

Représentation du quartier après l’intervention foncière. L’opposition entre l’identité patrimoniale du site et la recherche sans barrières de rentabilité produit des espaces stériles, monotones et peu résilients.