Pénuries et inflation

La crise s’approfondit

Partout dans le monde, les prix de toute une série de produits montent en flèche. De plus, des pénuries de toutes sortes de marchandises font rage. Les perturbations économiques issues de la crise sanitaire du Covid-19 perdurent et atteignent un nouveau stade.

Long Beach bouchon porte-conteneurs
Des porte-conteneurs attendent de pouvoir accéder au port de Long Beach, USA, 15 octobre 2021
Thomas R. Cordova

L’ indice des prix des produits alimentaires de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture est à son plus haut niveau depuis 2011. Le cours du coton s’envole. Les prix ont augmenté de 54 % en un an. Alors qu’il s’échangeait à 100 dollars avant la pandémie, le mètre cube de bois coûte aujourd’hui 125 dollars (Le Temps, 4.10.2021). Les premiers signes d’inflation se faisaient déjà ressentir cet été. Comment expliquer cette flambée des prix ?

Pour certain·e·s économistes mainstream cette inflation trouve sa cause principalement dans l’excès de la demande. Traduction : les ménages ont pu largement épargner à cause des divers confinements. En conséquence, ils ont beaucoup d’argent disponible pour la consommation, à tel point que l’offre – les producteurs de marchandises et intermédiaires – n’arrivent pas à suivre. Cet écart important entre l’offre et la demande crée une pénurie et tire les prix vers le haut. Or, cette explication ne permet pas de saisir la crise économique actuelle pour plusieurs raisons.

Un problème d’offre ou de demande ?

Premièrement, les pénuries de marchandises sont de plus en plus généralisées. Elles touchent tant les matières premières que les biens intermédiaires nécessaire à la production des produits finaux. Cela indique des dysfonctionnements propres à l’offre. Par exemple, la pénurie de puces électroniques est la cause du fort ralentissement de la production de toute une série de biens et au final de la montée des prix. La pénurie d’un composant essentiel à la production d’un bien perturbe toute la chaîne de production et se reporte sur les marchandises finales destinées à la consommation.

Cet épuisement des stocks n’est pas dû à des défauts de production en tant que tel, mais s’explique par des déficiences importantes dans le secteur de l’acheminement des marchandises. Les mesures de confinement ainsi que les restrictions sanitaires en vigueur dans certains pays provoquent des manques de personnel dans les grands ports internationaux devenus de véritable goulets d’étranglement, à l’instar de celui de Los Angeles. Des dizaines de cargos attendent devant le port, faute de personnel disponibles pour le déchargement de containers et de chauffeurs·euses routiers·ères (The Washing­ton Post, 17.09.2021)

Un capitalisme vulnérable

La crise du Covid révèle l’extrême fragilité intrinsèque du commerce international, rouage essentiel du capitalisme mondialisé. L’amélioration drastique des moyens de communication et d’information, avec internet et la fibre optique, permet une gestion de la production, des stocks et des flux de marchandise au plus proche de la demande des consommateur·ice·s. Le fret fonctionne dans une stratégie de « zéro stock ». Cela nécessite une coordination extrêmement bien huilée pour l’acheminement de matières premières, des biens manufacturés intermédiaires jusqu’au produits finaux. Il suffit qu’un maillon de la chaîne se brise, par exemple par un confinement sanitaire dans un port stratégique, et toute la chaîne est perturbée.

Vers une crise profonde ?

Plus fondamentalement, comme l’indique l’économiste marxiste Michael Roberts dans un billet de blog (thenextrecession.wordpress.com, 11.10.2021), les causes de l’inflation et des perturbations économiques sont antérieures au choc causé par le Covid-19. L’économie mondiale était déjà fortement fragilisée dès avant fin 2019. Le taux de profit est historiquement très bas, la production mondiale est en berne, l’investissement en pâtit.

Les politiques monétaires des banques centrales inondant les marchés financiers de liquidités et les taux directeurs bas voire négatifs n’ont eu pour effet que d’alimenter la spéculation financière. Avec la montée de l’inflation, nous ne sommes pas à l’abri d’une élévation des taux d’intérêt.

En somme, la conjoncture actuelle n’augure rien de bon. L’inflation et les pénuries pèsent de plus en plus sur le pouvoir d’achat des travailleurs·euses. Les prix augmentent alors que les salaires stagnent. La montée des taux d’intérêt fait planer le risque d’une violente récession et d’une explosion des coûts des dettes souveraines. En cas de cures d’austérité dans les pays les plus fragilisés, les conséquences sociales pourraient être désastreuses. Mais cette crise révèle aussi les fragilités de l’économie mondiale et son fonctionnement anarchique très peu résilient. En creux, cela trace des perspectives de réponses, telle une planification économique démocratiquement décidée.

Julien Nagel