GHB
Problème de société ou panique morale ?
Fin octobre, une cinquantaine de femmes auraient supposément été agressées avec du GHB – par piqûres – au MAD, boîte de nuit lausannoise. Problème : il s’agit très certainement d’un canular. Quelles leçons tirer d’une telle affaire ?
La rumeur circule sur les réseaux sociaux à partir d’une capture d’écran d’un message WhatsApp. Peu après que cette image commence à tourner, un nombre incalculable de stories Instagram s’affichent sur les téléphones du milieu militant lausannois. Le sensationnalisme autour du moyen et du nombre de personnes touchées a probablement contribué à la viralité de cette histoire. Vu la prévalence des violences genrées dans notre société, il est compréhensible que la réaction ait été aussi intense. Toutefois, il semble nécessaire de revenir plus calmement sur les questions soulevées par cet événement.
Il a fallu peu de temps au MAD et à la police pour réagir. Aucune agression ne leur a été rapportée. Malgré le manque de réflexivité de la police – il y a des raisons évidentes pour lesquelles les gens renoncent à porter plainte dans le cas de violences – il est désormais certain que ce message était un canular. De surcroît, l’emphase du message sur l’administration de drogue par piqûre est impressionnante mais peu ancrée dans la réalité. Il est presque impossible de droguer quelqu’un dans une boîte de cette manière-là (voir encadré de la version en ligne).
Des acteurs·rice·x·s du monde de la nuit pas si innocent·e·x·s
La direction du MAD s’est dédouanée de toute responsabilité concernant les événements, sans remettre en cause sa politique de prévention des agressions. Or, de nombreuses actions ont été menées dans les boîtes de nuit lausannoises par des collectifs, pour engager le dialogue avec les différents établissements. Leur objectif était de demander la mise en place de réelles politiques pour rendre les espaces de fêtes plus safe.
Une majorité des établissements a refusé d’entrer en matière, allant jusqu’à refuser la pose de simples affiches de prévention dans les toilettes. Celles-ci mentionnaient notamment que les personnes se sentant en danger pouvaient s’adresser au personnel de la boîte de nuit afin d’obtenir de l’aide. Les agressions dans les boîtes sont une réalité, particulièrement pour les femmes et les minorités sexuelles et de genre.
Les belles déclarations des gérants de boîtes de nuit, très majoritairement des hommes, ne visent qu’à améliorer leur image, sans jamais prendre en compte les demandes qui leur sont adressées. Ce scandale ne doit pas être l’occasion pour les boîtes de nuit de nier le problème et de redorer leur blason.
Viralité et panique morale
Dans un second temps, quelle critique apporter à la diffusion virale d’informations fausses ? La nature-même des réseaux sociaux pousse à visibiliser dans une logique capitaliste les contenus qui provoquent des réactions émotionnelles fortes. Alors, il faut réfléchir à la manière dont on met en avant la parole des victimes. Leur parole est indispensable pour contrer et mettre fin aux violences sexistes et sexuelles mais cela ne doit pas encourager un sensationnalisme creux.
Dans cette histoire, les présupposées victimes n’ont été qu’un tremplin pour nourrir une panique morale, tout en éclipsant d’autres témoignages du même week-end, noyés dans le flot incessant de contenu. Est-ce la manière dont on veut visibiliser les victimes ?
De vraies réponses politiques face aux agressions ?
Malheureusement, les paniques morales de ce genre finissent par nourrir les politiques réactionnaires. Les contenus partagés ont participé au rejet et la discrimination des personnes séropositives de notre société. De plus, ils ont permis à la police de faire des injonctions au silence en brandissant l’arme légale de la diffamation.
Plus encore, au Royaume-Uni, les rumeurs de drogue administrées par aiguille ou piqûre ont débouché sur des appels autoritaristes et sécuritaires : plus de contrôles à l’entrée des boîtes et une présence policière renforcée. Ce genre de demandes ratent leur cible. Ces approches ne feront qu’augmenter le harcèlement de la police et des entreprises de sécurité contre les personnes non-blanches et queer.
D’autres demandes sont possibles : pourquoi la formation des travailleur·euse·x·s du monde de la nuit n’est jamais systématique ? Pourquoi n’y a-t-il jamais d’espaces calmes dans les boîtes ? Pourquoi est-il presque impossible, dans certains établissements, de demander un verre d’eau ? Pourquoi les acteur·rice·x·s de la prévention sur les drogues n’ont jamais de place dans les lieux festifs ?
Au final, des espaces safe ne seront possibles seulement si les personnes concernées peuvent définir leurs besoins en dehors des logiques marchandes du milieu de la nuit. Nous devons être inclu·e·x·s dans les processus de redéfinition de la fête. Et si cela ne marche pas, nous créerons nos propres espaces.
Maeva Sanz Seb Zürcher
Aiguilles et seringues : une intox ?
Bien que l’utilisation de seringues par les usager·ère·x·s de drogue ne soit pas nouvelle, les récits d’administration sans consentement de drogue par petites aiguilles ou seringues dans les clubs ne sont apparus il y a seulement quelques mois au Royaume-Uni. Mais ces histoires, sans remettre en question le fait que les victimes ont pu être effectivement droguées, posent de nombreuses questions. En effet, le corps médical et les usager·ère·x·s de drogue mettent en doute la faisabilité d’un tel phénomène. Selon un article de Vice – une référence sur la réduction des risques liés aux substances – il est pratiquement impossible d’imaginer un tel dispositif. En cause: aucune drogue n’est adaptée pour l’administration par petites aiguilles sans contenants et le GHB est d’autant moins adapté pour l’administration par seringues. Si des seringues étaient utilisées, cela serait plutôt probablement des benzodiazépines (par exemple le Temesta) mais cela voudrait dire les trouver en solution liquide, les mélanger avec une solution saline et cibler un lieu d’injection où la drogue pourrait faire effet – tâche difficile à faire discrètement. Ce n’est pas une mince affaire et hautement improbable : il y a probablement des dizaines de manières de droguer quelqu’un de façon plus simple. Rappelons donc la nécessité d’intégrer les spécialistes et les usager·ère·x·s de drogue dans les discussions sur les substances psychoactives. Dans un deuxième temps, la concentration du discours sur cette question occulte la dimension systémique de la violence. Car au final, le mode de soumission le plus commun reste l’alcool – légitimé par notre société – et le problème reste la violence sexiste ou sexuelle, peu importe le moyen choisi pour l’effectuer.