Les vendeuses aussi ont droit au repos: non aux nocturnes!

Les vendeuses aussi ont droit au repos: non aux nocturnes!


En janvier au parlement genevois, les député-e-s de l´Alliance de Gauche se sont battus – seuls – contre la loi étendant les heures de fermeture des magasins (LHFM) qui prévoit une «nocturne» hebdomadaire jusqu´à 21h, une fermeture samedi reportée à 18h00 pour tous les magasins et une ouverture jusqu´à 19h30 le vendredi.

Point de vue libéral


«Le débat à ce propos offrit à la gauche l´occasion de présenter deux formes bien distinctes de syndicalisme, l´intelligent, fondé sur le dialogue et la compréhension des mécanismes du marché, et l´autre, myope, absolu et doctrinaire […] Le socialiste Charles Beer a compris depuis longtemps que le progrès social va de pair avec la prospérité, laquelle est tributaire de l´économie de marché. Il agit en conséquence […] Il est le digne représentant de la première des formes de syndicalisme évoquée. Tandis que le néo-communiste Rémy Pagani se moque éperdument des causes de la possible amélioration des conditions de vie du plus grand nombre. Il se borne à réclamer d´avantage, comme un enfant son biberon, sous prétexte de «préserver les acquis sociaux», dont il craint viscéralement qu´ils soient malmenés par «l´abominable patronat». Sa conception de la société s´avère pour le moins vieille de cent ans.»1

Deux visions du monde


En effet, deux lignes s´affrontaient, celle dont l´axe est le marché et celle – certes vieille de plus de cent ans – qui se bat pour préserver – et élargir – des conquêtes sociales. Un débat gauche-droite en somme, même si ce n´est pas l´avis du socialiste Sami Kanaan qui salue quant à lui qu’«il y a des sujets qui ne sont pas votés selon un schéma gauche-droite. Ainsi le projet de loi concrétisant l´accord entre partenaires sociaux autour des horaires d´ouverture des commerces a largement passé la rampe après un débat houleux où l´ADG s´est battue toute seule contre l´accord.»2



Dans son rapport de minorité3 notre camarade Rémy Pagani motivait les raisons de notre refus d´entériner le deal passé par certains syndicats: déréglementation des horaires contre une convention collective-cadre au rabais.



Donnons ici la parole au majoritaire, le socialiste Charles Beer4, qui écrivait dans son rapport que: «Cet accord de partenaires sociaux est né d´un jugement du TF de 1997, déclarant nulle toute clause de protection des travailleurs au niveau de la LHFM. Plus précisément c´est l´art.9, al. 2 réglant la libération du personnel à 19h00, qui vola alors en éclats. Face à ce vide juridique, les partenaires sociaux ont dû entamer des discussions en vue de trouver une solution. […] Du côté syndical, toute protection au niveau de la loi devenant caduque, il convenait de rechercher par la négociation une solution permettant de protéger efficacement l´ensemble des travailleuses et travailleurs du secteur.»



Eclairant, non? Le TF casse – en 1997 – une disposition prévoyant la libération des employé-e-s à 19h, avec fermeture des magasins à 19h30. Une disposition visant à donner une demi-heure d´ouverture de plus à certains petits commerces familiaux. Mais une fois celle-ci cassée par le TF, n´aurait il pas fallu immédiatement – et dès octobre 1997 n´y avait-il pas une majorité censément à gauche qui aurait pu le faire – voter une loi supprimant l´«anomalie» et entérinant la pratique de fermeture effective à 19h?

Ce n´est qu´un début…


Charles Beer se lamente «toute protection au niveau de la loi» aurait été selon lui depuis lors caduque. Et en effet, au niveau des horaires, il n´est revenu devant le parlement que pour proposer de démonter encore les limites légales des horaires de travail dans la vente et pour affirmer que le parlement n´avait rien à dire, sauf à entériner un accord et une loi élaborés par la «société civile» (sic!) dans une longue négociation, fondée non sur la mobilisation des travailleuses/eurs …mais sur un arrêt du TF en leur défaveur.



Contre cette tartufferie, nous avons affirmé que les député-e-s avaient le droit de prendre position sur les heures de fermeture des magasins, que d´un point de vue de gauche, du point de vue écologiste, de celui de la santé des travailleurs/euses, du refus de la flexibilisation à mort des horaires de tous/toutes, c´était au contraire vital de refuser les ouvertures prolongées. Ce d´autant que plusieurs député-e-s de droite, dont le radical Pierre Kunz directeur de Balexert (plus grand centre commercial de suisse romande), ont – franchement – annoncé que ce n´était qu´un premier (et trop modeste) pas, même s´il allait dans la «bonne» direction de la déréglementation généralisée.



Nous avons proposé plusieurs amendements, visant à maintenir le statu quo des heures de fermeture, tous ont été balayés et n´ont reçu de voix ni du PS, ni des Verts, à la très honorable exception près de la verte (et nouvelle présidente de ce parti) Sylvia Leuenberger qui a voté au final avec nous contre la loi.

Qui a peur des travailleuses/eurs?


Cerise sur le gâteau, l´ADG a proposé de demander leur avis aux vendeuses et vendeurs eux-mêmes à propos de cette loi. Notre amendement soumettait son entrée en force à un vote organisé officiellement et à bulletin secret, ouvert à l´ensemble du personnel concerné par les modifications d´horaires en découlant. Sans l´aval de ces employé-e-s la loi devenait caduque. Or cet amendement élémentaire, consistant à prendre en compte l´avis des premiers concernés n´a été suivi ni par le PS, ni par les Verts.



Si Charles Beer et ses camarades du PS étaient vraiment persuadé d´agir dans l´intérêt des travailleuses/eurs concernés, pourquoi refuser cette possibilité de s´adresser à chacun-e d´eux et d´obtenir leur accord? Peut-être parce que chacun-e sait – discutez-en avec des vendeuses! – que, comme l´ont montré nombre d´enquêtes dans ce domaine, les travailleuses/eurs de la vente sont bien moins enthousiastes que certains secrétaires syndicaux, quant aux vertus de la flexibilisation patronale.



Du côté d´autres syndicats d´ailleurs, on élève aussi la voix contre ce deal. Un secrétaire régional de Comedia, secteur Livre et diffusion de médias, ne s´insurgeait-il pas dans la Tribune, contre le fait qu´on «brade le cadre horaire du plus grand nombre pour affirmer une soi-disant victoire politique…»5

Un référendum privatisé par le PdT?


La question du référendum était posée. Pas de la seule récolte de signature, mais d´un travail sérieux, le plus large possible, articulant les angles d´opposition en:

  • menant une enquête auprès des travailleuses/eurs concernés – comme l´a fait en 1994 à Genève le Comité Travail et Santé – avec comme résultat près de 90% de refus de la nocturne jusqu´à 20h, et en cherchant à impliquer des employé-e-s du secteur dans l´opposition référendaire;
  • visant à associer les groupes féministes, ce sont en effet des femmes qui payeront le prix fort de l´extension des horaires;
  • s´adressant aux milieux de la santé, qui peuvent être mobilisés face au conséquences de la déréglementation du travail;

  • associant les milieux écologiques et antinucléaires, pour qui l´extension de ces horaires représente une charge supplémentaire sur l´environnement. Quand on sait que tel centre commercial genevois, consomme autant de courant à lui seul qu´une petite ville…
  • impliquant les militant-e-s engagé-e-s dans le combat contre la mondialisation néolibérale, dont la déréglementation du travail est un aspect et le primat du marché – même la nuit! – un axe fort;
  • et bien sûr en portant ce débat dans toutes les instances syndicales possibles…


Pour nous, à solidaritéS, au vu de nos forces à Genève, de nos engagements et d´échéances prochaines – comme le lancement nécessaire d´un référendum contre la nouvelle Loi fédérale sur le chômage (LACI), la campagne contre la libéralisation du marché de l´électricité (LME), pour ne citer que deux batailles nationales, nous avons décidé en AG en décembre de ne pas proposer à l´ADG de lancer ce référendum.



Le Parti du travail, quant à lui, au lendemain de notre bataille au parlement, a aussi décidé de ne pas proposer à l´ADG de lancer ce référendum – ce qui aurait permis de débattre et décider démocratiquement, sur un point où nous n´avons pas de divergences de fond. Mais ce pour d´autres raisons, il a en effet décidé d´en faire «son» référendum – lancé en nom propre et présenté comme un moyen d´affirmation d´un label partisan, qui brille trop peu à son goût au firmament local.

Au-delà des enfantillages


C´est là un auto-goal: lancer un référendum sans faire le maximum pour lui donner toutes les chances est une faute politique. Faire des cachotteries infantiles à ses partenaires de l´ADG ne permet ni de crédibiliser cette alliance, ni le PdT lui-même.



Dans cette situation, solidaritéS a décidé de ne pas répondre sur ce terrain là, nous appellons donc bien entendu les électeurs/trices genevois à signer ce référendum. Nous avosn à disposition des listes et avons en outre décidé de marquer notre opposition fondamentale à cette loi, en nous fixant un quota volontaire de récolte d´un millier de signatures. Si le PdT tient ses engagements et fait aboutir le référendum, nous aurons alors, en écartant les enfantillages partisans, à faire la preuve que les opposant-e-s aux nocturnes sont capables de mener un travail sérieux de construction d´une opposition de terrain qui – au-delà du seul résultat dans les urnes – fasse avancer l´organisation de la résistance à la dérégulation néolibérale et élargisse la conscience sa nécessité.



Pierre VANEK

  1. René Koechlin député libéral, Le nouveau libéral du 7.2.02
  2. Sami Kanaan, Post-Scriptum, bulletin du PS-GE du 1.02.02
  3. V. solidaritéS N°137 du 1.12.01
  4. Secrétaire syndical d’Actions/Unia
  5. Pierre Genier, dans la Tribune de Genève du 15.2.02