Barre à tribord, mal de mer à droite

Barre à tribord, mal de mer à droite

La récente percée du parti blochérien1 en terre neuchâteloise suscite des remous parmi la droite libérale et radicale, qui a perdu une partie de son électorat. En surplus, l’UDC a mobilisé, grâce au vote par correspondance, des abstentionnistes en attente d’un parti xénophobe électoralement crédible.

Avant les élections fédérales, les responsables libéraux et radicaux déclaraient refuser l’alliance avec l’UDC. Depuis deux mois, on entend une autre mélodie (avec pourtant des «canards» dans l’exécution de la partition): en décembre 2003, le vice-président libéral-PPN, Jean-Claude Baudoin, annonçait une rencontre avec les radicaux et l’UDC pour unir toute la droite, lors des élections communales de juin 2004.

Compte tenu d’un système proportionnel2 grevé d’un quorum de 10%, l’apport de l’électorat blochérien est nécessaire pour changer de majorité dans les 3 villes du canton. Au Grand Conseil, libéraux et radicaux ont déjà adopté le programme de l’UDC, à voir les cadeaux fiscaux aux riches votés systématiquement par les élu/es de ces deux partis3.

Si les présidentes Thérèse Humair (libérale-PPN) et Huguette Tschoumy (radicale) déclarent qu’«il ne faut pas diaboliser l’UDC», l’ex-conseiller national radical Claude Frey les précède depuis longtemps sur cette pente savonneuse4. Par contre, le conseiller d’Etat radical Thierry Béguin s’oppose publiquement à toute alliance avec l’UDC.

Situation identique chez les libéraux: certain-e-s estiment que, même consommée avec une très longue cuillère, la soupe UDC sera très indigeste. N’oublions pas que, dans les années 70, le parti libéral comptait dans ses rangs le constitutionnaliste Jean-François Aubert (candidat toujours brillamment élu au Conseil des Etats). Ce secteur de l’électorat libéral rejette l’alliance avec l’UDC. Cela vient de se traduire, à La Chaux-de-Fonds, par le refus des libéraux de s’apparenter à l’UDC, vu l’arrogance du chef UDC local (Pierre Hainard, transfuge du parti radical) envers ses alliés potentiels.

La droite neuchâteloise finira-t-elle par manger son chapeau en s’alliant bon gré mal gré5 à l’UDC dans d’autres localités. Pour faire avaler la couleuvre, les «tribordiers» libéraux et radicaux affirment qu’ils demanderont à l’UDC de tenir un discours «politiquement responsable et débarrassé de toute xénophobie»6. Une logique aussi absurde que la nomination du capitaine Haddock à la présidence de la ligue des marins anti-alcooliques…

Le bénéficiaire de ces exercices de tartufferie est connu. L’UDC s’est déclarée «très contente» de l’ouverture manifestée par le parti libéral et le chef cantonal Yvan Perrin trie déjà les bons et les mauvais partenaires: «Je n’imagine pas une seule minute un apparentement avec une Lise Berthet [N.D.R.: conseillère communale radicale] à la Chaux-de-Fonds. En revanche, avec Didier Burkhalter à Neuchâtel, cela me paraît tout à fait possible. Au sein du Parti radical, il y a des sensibilités fort différentes»7.

Les éléments d’un «programme commun» (notamment en matière fiscale) existent déjà entre la droite et l’UDC. Par contre, un accord politique sur la durée (intégrant l’UDC à la «grande famille de droite») suscite des contradictions potentiellement explosives.

Hans-Peter RENK

  1. 22% des suffrages et 1 conseiller national.
  2. François-Jean-Félix Cantagrel, L’élection véridique ou La sincérité représentative assurée par le vote secret et libre: procédé pratique offert à Messieurs les membres de l’Assemblée constituante du canton de Neuchâtel. Neuchâtel, impr. J. Attinger, 1858.
  3. «Face à la gauche, l’UDC est un partenaire, pas un adversaire. Sur les plans cantonal et communal, nous défendons les mêmes valeurs.» (J.C. Baudoin, in: L’Express, 10.1.2004)
  4. Claude Frey peut revendiquer des droits d’auteur pour le thème: «Il ne faut pas diaboliser l’UDC…» (en Suisse, ou le FPÖ en Autriche).
  5. Version britchonne du mot attribué à Henri IV (protestant converti au catholicisme), à la fin du XVIe siècle: «Paris vaut bien une messe…»
  6. L’Express, 10.1.2004
  7. L’Express, 10.1.2004