Hommage au Man in Black: Johnny Cash déterré
Hommage au Man in Black: Johnny Cash déterré
Combien de fois la sortie dun de ses disques a-t-elle été considérée comme la dernière, compte tenu de sa santé? Et pourtant, linusable Johnny Cash na cessé de nous surprendre, reprenant inlassablement le chemin des studios, jusquà ce 12 septembre 2003 au matin, où, à lâge de 71 ans, il a finalement rendu son dernier souffle. Une boîte noire contenant cinq CD et un livret de 100 pages rend aujourdhui un troublant hommage à lhomme en noir.
John Ritter Cash est né le 26 février 1932 à Kingsland, Arkansas et a grandi dans un univers musical allant du folk aux hymnes des travailleurs agricoles et des cheminots. En 1954, il sinstalle à Memphis, Tennessee, où il rencontre Sam Phillips, patron de la mythique maison de disque Sun Records. Au printemps 1955, il commence à enregistrer avec son groupe «The Tennessee Three» et côtoie Elvis Presley, Roy Orbinson, Carl Perkins ou encore Jerry Lee Lewis. Son premier 45 tours «Hey Porter» passe inaperçu, mais le second «Cry, Cry, Cry» obtient un franc succès, comme les suivants, dont le fameux «Folsom Prison Blues».
Des débuts folk
Johnny Cash, qui a quitté Sun Records en 1957 pour rejoindre Columbia, continue son ascension fulgurante durant les années 60 et devient une figure respectée de la communauté folk pour ses chansons engagées. Son apparition en 1964 au célèbre Newport Folk Festival fût le point dapogée de cette période. Cest à cette occasion quil rencontre Bob Dylan, avec lequel il enregistre plusieurs chansons en 1969. De cette session ne sera retenu sur lalbum de Dylan Nashville Skyline que lextraordinaire «Girl of the North Country», mais le reste des bandes vont rapidement circuler sous le manteau.
En 1967, Johnny Cash cherche à sortir de la dépendance aux narcotiques dans laquelle le rythme infernal de sa vie la plongé. Il se tourne vers June Carter, sa partenaire de chant, pour trouver un appui. Lannée suivante ils se marient et Cash entre dans le clan Carter, qui sont à la country ce que les Kennedy ont été à la politique.
Chanteur de country atypique
Si le folk est considéré comme une musique rebelle, la country, elle, est plutôt apparentée aux cow-boys sudistes, aux relents racistes. Cash nétait pas de ceux-là et, avec Kris Kristofferson, il symbolise une forme de contre-culture au sein même du bastion de la musique traditionaliste et conservatrice des Etats-Unis. Avec son verbe proche des milieux populaires et des exclus, le Man in Black, irrite les puristes de la country, la droite nationaliste, et le KKK.
Le 13 janvier 1968, Johnny Cash organise un concert au pénitencier dEtat de Folsom, en Californie et joue devant 2000 détenus. Les disques de ce concert et de celui quil fera au pénitencier de San Quentin lannée suivante sont devenus de véritables références pour les aficionados.
A cette époque est lancé le «Johnny Cash Show», diffusé sur ABC. Rapidement, lémission devient un lieu déchange entre différents styles musicaux, grâce à des invités comme Dylan, Neil Young ou encore Louis Armstrong. Mais le «Johnny Cash Show» est surtout un forum où sont abordés des thèmes politiques, comme le statut des Indiens, la réforme du système pénitentiaire, les droits civiques et bien sûr la guerre du Vietnam. Cet engagement progressiste vaudra à Cash beaucoup dinimités au sein de la communauté country.
Retour au folk
A la fin des années 80, Columbia met un terme au contrat avec Cash qui rencontre en 1993 Rick Rubin, producteur notamment des Red Hot Chili Peppers et de Nine Inch Nails, qui vient de créer un petit label de rock American Recordings. Lentrée de Johnny Cash chez American Recordings en a étonné plus dun, se demandant ce que le «pape» de la country, pouvait bien aller faire dans cette obscure maison de disque, encore inconnue.
La réponse ne sest pas faite attendre. En 1994 sort le premier album dune série intitulée sobrement «Johnny Cash American Recordings» et on assiste à une époustouflante renaissance de la carrière du Man in Black. Suivront trois autres CD entre 1996 et 2002. Séloignant du style country et renouant avec une sonorité clairement folk, Cash reconquiert un large public, notamment auprès des jeunes qui découvrent un mythe finalement moins poussiéreux quils ne limaginaient…
Un coffret impressionnant
Outre ses propres compositions, on trouve sur ces CD des reprises de Beck, Soundgarden, Tom Petty, U2, Simon and Garfunkel, Leonard Cohen ou encore de Nine Inch Nails, revisités dans le plus pure style folk. Pour chacun de ces disques, Cash a enregistré entre 40 et 100 morceaux et suite au décès de June Carter Cash, le 16 mai 2003, il travaillait darrache pied pour le cinquième volume de la série… Bref, plus de 400 inédits et autres alternate takes, enregistrés sur une décénie! Et cest précisément pour fêter les dix ans de leur fructueuse collaboration que Rick et Johnny travaillaient sur un coffret basé sur ces inédits et intitulé UnEarthed, qui prend finalement la forme dun vibrant hommage au mystérieux Cash.
On pouvait craindre lédition de fonds de tiroirs et autres rebus, comme cela arrive souvent suite à la disparition dun artiste, mais il nen est rien. Tout dabord parce que Cash lui-même a participé à la conception du coffret et parce que parmi les centaines de chansons enregistrées et non retenues sur les quatre premier volumes, il y a manifestement encore beaucoup de perles. A noter le quatrième des cinq CD que comprend le coffret, album de gospel blues intitulé My Mother Hymne Book, considéré par Cash comme ce quil a enregistré de mieux dans sa vie… Cette petite boîte noire est indéniablement un chef duvre, dans la droite ligne de ce que Cash a enregistré depuis dix ans. On en vient à regretter encore plus amèrement quil ne soit plus là pour continuer juste encore un petit peu sur son chemin solitaire…
Erik GROBET
Johnny Cash, UnEarthed, Lost Highway/Import.