Olivier de Marcellus inculpé: retour aux années sombres?

Olivier de Marcellus inculpé: retour aux années sombres?

L’article 26 de la Loi pénale genevoise, déterré récemment pour inculper notre ami Olivier de Marcellus, suite aux manifestations anti-G8 de juin dernier, prévoit qu’un fonctionnaire peut être poursuivi pour incitation publique à la désobéissance. Cet article est issu de l’ancien Code pénal cantonal (art. 170), aboli en 1938, date de l’introduction du Code pénal suisse (CPS). De 1939 à 1941, dans un contexte marqué par l’interdiction du Parti communiste suisse et de la Fédération socialiste de Léon Nicole, une commission d’experts va cependant proposer de durcir le texte fédéral par deux chefs d’inculpation spécifiques à Genève: l’appel à la désobéissance de la part d’un fonctionnaire (art. 26) et l’appartenance à une organisation communiste (art. 35).

Le projet de Loi pénale est soumis au Grand Conseil le 14 septembre 1940. Il est issu de deux ans de travaux d’une commission restreinte, qui s’est efforcée de le rendre compatible avec le nouveau droit fédéral. Bien que le CPS sanctionne l’incitation au crime (art. 259) et l’opposition aux actes de l’autorité (art. 22, 24 et 286), l’exécutif cantonal, suivant les experts, défend qu’il appartient au canton de compléter ces dispositions, notamment par un article visant l’incitation à la désobéissance, qui n’est pas poursuivie par le texte fédéral, ceci dans la mesure où un fonctionnaire cantonal en serait l’auteur. Selon lui, cette compétence appartient encore au Grand Conseil, en vertu de l’art. 335 CPS, qui réserve des prérogatives cantonales dans les domaines de police, d’administration et de procédure. Une argumentation juridiquement très discutable…

De la fusillade à la loi répressive

Le Weiss Block remet ça!

Le 2 décembre dernier, dix-neuf député-e-s, dont 8 UDC et 11 de tous les autres partis de l’Entente, ont déposé un projet de loi visant à contrôler très étroitement le droit de manifester dans le canton. Parmi l’arsenal des mesures proposées: la possibilité d’interdire une manif en fonction de son thème, mais aussi d’en déterminer administrativement le lieu et la date; l’exigence d’un service d’ordre subordonné à la police et d’une assurance RC; la légalisation du fichage photo et vidéo des participant-e-s et la reconnaissance explicite du délit d’émeute; la dispersion de tout rassemblement non explicitement autorisé et l’interdiction de toute diffusion d’information de nature à «attenter à l’ordre public». Une véritable loi d’exception! (jb)

La droite cantonale n’en est pas à son premier coup d’essai en matière de mesures liberticides. Au lendemain de la fusillade du 9 novembre 1932, qu’il avait personnellement ordonnée, et qui fit 13 morts et 62 blessés, le Conseiller d’Etat libéral (à l’époque, démocrate) Frédéric Martin, surnommé F.M. (fusil-mitrailleur), avait déjà proposé, au nom de l’exécutif monocolore d’alors, de restreindre le droit de manifester et de renforcer le dispositif répressif du Code pénal genevois. Tandis que le journal du Parti communiste, le Drapeau Rouge, était interdit et que Léon Nicole croupissait en prison pour six mois, deux lois étaient votées au pas de charge par la majorité bourgeoise, le 1er juillet 1933, avant d’être contestées par un référendum du Parti socialiste genevois et de l’Union syndicale, et rejetées en votation populaire, le 1er octobre. Une victoire des droits démocratiques!

On connaît la suite: en automne 1933, les socialistes obtiennent 45 sièges au Grand Conseil et une majorité au Conseil d’Etat, avec Léon Nicole. Trois ans plus tard, la droite reprend le pouvoir, quelques mois avant la chute du cabinet Léon Blum en France. Le 7 avril 1937, à l’avant-garde de la réaction européenne, juste après le canton de Neuchâtel, mais avant le canton de Vaud, la majorité bourgeoise du Grand Conseil vote une Loi constitutionnelle interdisant le Parti communiste, qui sera assortie d’une sanction pénale prévoyant jusqu’à deux ans de prison pour les contrevenants (art. 91 bis CPG).

Démocratie corsetée

Le 26 novembre 1940, le Parti communiste est interdit dans toute la Suisse par arrêté du Conseil fédéral. Dans la foulée, quatre députés sont exclus du Grand Conseil genevois pour avoir appartenu au PCS. Six mois plus tard, c’est au tour de la Fédération socialiste suisse d’être dissoute, entraînant l’expulsion des 28 députés socialistes nicolistes du parlement genevois, le 17 juin 1941.

Sur les 35 sièges que la gauche a obtenus à Genève, en automne 1939, elle n’en détient plus que 7, ceux de la droite socialiste de Charles Rosselet… Et c’est ce Parlement d’exception, 93% à droite, qui va ratifier sans aucun débat le projet de Loi pénale genevoise proposé par un exécutif monocolore, et mitonné par des experts ès répression de la veine de Frédéric Martin. Quatre jours plus tard, Hitler lance la Wehrmacht à l’assaut de l’Union Soviétique… Il est minuit dans le siècle.

N’est-il pas dès lors significatif que la droite d’aujourd’hui, qui s’efforce de criminaliser le mouvement altermondialiste, en particulier après les incidents survenus en marge de la grande manif anti-G8 de juin dernier, redécouvre les recettes autoritaires de ses ancêtres des années 30 (voir ci-contre, Le Weiss Block remet ça!).

A cette époque, ceux-ci avaient déjà prétextés les événements de novembre 1932, dont ils avaient encore du sang sur les mains, pour s’efforcer de restreindre les libertés démocratiques, objectifs qu’ils avaient dû attendre le 7 avril 1937 pour commencer à concrétiser, avant de triompher en 1940 et 1941, dans un contexte marqué par l’écrasement du mouvement ouvrier européen par les hordes nazies et les gouvernements de collaboration à leur solde.

Aujourd’hui, ils veulent tirer profit de la croisade «anti-terroriste» et répressive de Washington, relayée par Bruxelles, pour mettre en cause nos libertés fondamentales, la main dans la main avec l’UDC. Ne nous laissons pas faire! Il faut rassembler le monde syndical et associatif, mais aussi l’ensemble des démocrates, pour rejeter une telle dérive autoritaire.

Jean BATOU


Lois scélérates rejetées le 1er octobre 1933

«Peuple de Genève, refuse la muselière offerte par un Grand Conseil réactionnaire» (affiche socialiste de l’été 1933)

Pour le Conseil d’Etat, la législation pénale en vigueur est «incomplète et inopérante en présence des méthodes révolutionnaires modernes». Il propose donc d’inscrire de nouveaux articles au Code pénal pour sanctionner des actes préparatoires pouvant troubler l’ordre public et punir d’emprisonnement quiconque refuse de se conformer à une décision de l’autorité ou provoque à la désobéissance. De même, il veut soumettre les réunions et manifestations publiques au régime de l’autorisation préalable obligatoire et préconise l’interdiction de tout rassemblement «de nature à troubler l’ordre et la sécurité publics».

Le député libéral (alors, démocrate) Jean Humbert n’y va pas par quatre chemins: «Les lois qui vous sont proposées sont destinées à porter atteinte à une liberté dont nous ne voulons pas, la liberté de préparer l’émeute. La liberté d’inciter à l’émeute, la liberté de tenir la rue…». Dans son rapport de majorité la commission du Grand Conseil note: «Celui qui incite à commettre une infraction est souvent plus coupable (…) que celui qui la commet et il serait parfaitement injuste qu’il n’encoure qu’une peine moins grave ou aucune peine».

Le Parti socialiste genevois et l’Union syndicale font campagne énergiquement pour le double NON: «Peuple de Genève, refuse la muselière offerte par un Grand Conseil réactionnaire», lit-on sur tous les murs. Le lendemain du 1er octobre, les résultats tombent: les articles du Code pénal et les restrictions du droit de manifester sont refusés respectivement par 51% et 50,4% des votants. Le 11 mars 1934, c’est le peuple suisse qui rejette la seconde loi Häberlin pour la protection de l’ordre public, d’inspiration autoritaire.

(jb)


La Feuille d’Avis Officielle genevoise, placée sous la responsabilité du Chancelier Hensler, publiait une édition tous-ménages le 21 mai contenant une déclaration du Forum Social Lémanique appelant à la manif anti-G8 et à des «sit-in ou autre types de blocages non violents des accès au sommet», précisant son opposition dans ce cadre «à toute atteinte aux personnes et aux biens».

Cette position a été celle d’Olivier de Marcellus le 6 avril déjà à Droit de Cité. A une question sur la «désobéissance civile», il répond que celle-ci, en l’occurrence, est «illégale mais légitime, contrairement au G8…» et que «ceux qui veulent s’exprimer de cette façon là vont faire des blocages non-violents… comme Ghandi.»

C’est en marge du Forum Social Mondial, au pays de Ghandi, qu’Olivier a appris sa convocation «pour être inculpé» de violation à la loi pénale genevoise, d’incitation à l’émeute, etc. Selon le député libéral Christan Lüscher, avocat d’un magasin de la place, on n’accuse pas Olivier d’être casseur… mais d’être «coresponsable par son appel à la désobéissance civile» lancé à la TSR.

C’est aussi en Inde, à l’AG des mouvements sociaux dans le cadre du FSM, que cette affaire servira à Eric Decarro pour illustrer la nécessité dans la déclaration (v. p. 6) de s’opposer au souffle liberticide qui prétextant la «lutte contre le terrorisme» cherche à «criminaliser les mouvements populaires et les militants sociaux» et à «restreindre les droits civils et les libertés démocratiques».

(pv)