Expérimentation animale

Comment dépasser le modèle actuel?

Le 13 février prochain, le peuple suisse sera appelé à donner son avis sur la question de l’expérimentation animale. Ce n’est pas la première fois que cette problématique fait son apparition dans les urnes. En 1985, 1992 et 1993 des initiatives sur l’interdiction l’expérimentation animale interpelaient déjà la population générale et furent à chaque fois refusées en bloc.

Un lapin dans un laboratoire d'expérimentation animale

Mais l’expérimentation animale en 2021 en Suisse, à quoi cela ressemble ? Depuis une décennie, le nombre d’animaux utilisés dans les laboratoires helvétiques est resté stable, oscillant entre 550 000 et 700 000 animaux par année. Ces animaux se répartissent dans des expériences échelonnées en quatre degrés de gravité. Plus de la moitié se retrouve soumise à des degrés de gravité faibles (0 et 1) générant peu (1) ou pas (0) de souffrance. La moitié restante est principalement représentée par le degré 2 qui regroupe les expériences infligeant des contraintes légères de longue durée, comme l’essai de médicaments expérimentaux contre le cancer sur des souris. Le degré 3 ne représente qu’environ 20 000 expériences mais inflige une souffrance intense aux cobayes, comme l’étude des mécanismes de rejet après transplantation rénale chez la souris.

 L’initiative

Le texte proposé interdit tout recours à l’expérimentation animale ou humaine si l’expérience n’est pas effectuée dans l’intérêt global et prépondérant du sujet. Cela signifie qu’à l’entrée en vigueur du texte, l’importation et l’exportation de produits qui font l’objet d’expérimentations animales seraient interdites, cette interdiction ne s’appliquant néanmoins pas aux produits déjà existants qui n’utilisent plus l’expérimentation animale. En d’autres termes, la recherche, quel que soit le domaine, doit abandonner du jour au lendemain les modèles animaux et développer des alternatives. 

Le texte amène donc des questionnements essentiels : que faire si l’initiative est acceptée et qu’un nouveau traitement contre une maladie commune apparait à l’étranger ? Est-il acceptable de priver la population de ce traitement sur notre territoire tout en permettant tacitement aux classes les plus aisées un tourisme médical dans les pays limitrophes ? Est-ce que dans le cas d’une maladie commune la souffrance de centaines de milliers d’animaux est justifiable ?

Une chose est sûre, l’initiative particulièrement jusqu’au-boutiste ne laisse que très peu de place au compromis helvétique tant chéri par nos autorités. Au vu des précédentes votations et de la radicalité de l’initiative, on peut facilement déduire l’issue du vote du 13 février prochain. Néanmoins, il serait contre-productif de simplement balayer de la main un texte qui, si on se réfère aux résultats des précédentes votations, représente l’avis d’environ un tiers de la population.

Comment sortir du système actuel ? 

Si l’initiative n’est, selon moi, pas satisfaisante telle qu’elle est formulée, sa radicalité a le mérite de ramener au centre du débat la question animale et de questionner profondément le rapport, trop souvent dissimulé derrière les bâtiments universitaires, que l’on entretient avec le monde animal. La diminution phénoménale d’utilisation de modèles animaux depuis les années 1980 (près de 2 millions par année en 1983) est le produit d’une pression sociétale pour le développement d’une meilleure méthodologie et de nouveaux modèles tels que l’émergence des 3R, une méthodologie aujourd’hui largement adoptée défendant les principes de réduction, remplacement et de raffinement des études utilisant des modèles animaux. 

Toutefois, la recherche actuelle avance avec inertie, en Suisse comme ailleurs. Une nouvelle poussée est nécessaire pour rediriger le système vers le développement de nouveaux modèles. Si la Suisse est un des pays les plus restrictifs en termes de législation relative à l’expérimentation animale, le nombre d’animaux utilisés chaque année reste stable depuis une décennie. La Suisse devrait profiter de l’excellence de sa recherche fondamentale pour développer de nouvelles alternatives : les récents développements de la culture cellulaire 3D permettront à terme de remplacer une partie non négligeable des animaux utilisés en laboratoire. 

N’abandonnons pas ces découvertes à l’industrie pharmaceutique qui cherche désespérément à redorer son blason entaché par une liste de scandales interminable. C’est pourtant la situation qui se profile à l’horizon avec de nouveaux modèles tels que les organoïdes, une technique dérivée de la culture cellulaire 3D, et les organes sur puces, des modèles de bio-­ingénierie imitant le fonctionnement de notre corps, en développement dans les plus grandes firmes. 

Le domaine public risque de se retrouver de plus en plus enchaîné entre les demandes légitimes de la population qui veut abroger l’expérimentation animale et un domaine privé qui imposera des prix forts par son monopole sur ces nouveaux modèles. La recherche académique suisse a les moyens et les connaissances nécessaires pour diminuer son recours à l’expérimentation animale de manière autonome, exigeons-le !       

Clément Bindschaedler