Smood

Une résistance étouffée par la paix du travail

C’est dans le canton de Vaud, à Yverdon, que le premier débrayage démarre le 2 novembre 2021. À ce moment précis, personne ne songeait qu’un mouvement était né, qu’il allait se consolider et durer dans le temps. Toutefois, sans véritables droits syndicaux, la volonté ne suffit pas pour déverrouiller le mécanisme du partenariat social suisse, si bien ficelé. 

Des manifestants à Lausanne en soutien aux grévistes de Smood
Rassemblement de soutien aux grévistes, Lausanne, 19 janvier 2022

Comme nous l’avons rappelé déjà, la mise en mouvement des livreur·euse·s de la plateforme Smood détone par chaque aspect. Analyse de la situation.

Faire grève dans un pays scellé par la paix du travail n’est de loin pas un exercice facile. Certes, le droit de grève existe, mais elle doit se faire en dernier recours, une fois que la négociation avec l’employeur a échoué. Les travailleur·euse·s de Smood ont tenté en vain la discussion avec leur employeur avant de s’organiser collectivement. La colère explose à défaut de réponses et notamment au mois de septembre 2021 lorsque la répartition des heures de travail se fait selon la logique « premier arrivé, premier servi » : une couche supplémentaire de flexibilisation, engendrant encore plus de précarité, qui deviendra l’élément déclencheur vers la collectivisation du conflit. 

Économie de plateforme

Cette grève est atypique parce que les métiers de services sont traditionnellement peu organisés syndicalement. L’inédite détermination des livreur·euse·s dans la construction d’une communauté de travail – alors que le but primaire des économies de plateforme réside dans l’individualisation et l’atomisation du travail – est clairement inhabituelle. Ici, ce sont les travailleur·euse·s qui ont toqué à la porte du syndicat et non l’inverse ! 

Toutefois, contrairement à d’autres plateformes, Smood emploie (en partie) des salarié·e·s dont la plupart sont des travailleur·euse·s temporaires, payé·e·s à la commande. L’argument favori utilisé par Smood réside dans le fait qu’il serait meilleur employeur de ses concurrents. 

Effectivement, si Smood fait signer des contrats de travail, ceux-ci sont vidés de substance car aucune garantie d’heures ni de revenu n’y figure. 

Après un mois de grève, le mouvement a été suspendu pendant 47 jours par la Chambre des relations collectives de travail (CRCT), l’organe étatique ayant « pour mission principale le maintien de la paix du travail. Elle intervient en cas de différends d’ordre collectif pour prévenir et concilier les litiges collectifs, susciter la conclusion de conventions collectives de travail ». À contre-cœur des premier·ère·s intéressé·e·s, il s’en est suivi la suspension de grève ainsi que de toute mesure de lutte durant cette procédure de conciliation. 

Non-respect de la loi au cœur du profit

Enfin, c’est mi-janvier 2022 que la CRCT met un terme aux négociations, la voie institutionnelle ne parvenant pas à mettre d’accord les parties. La CRCT a émis une série de recommandations mais en définitive a conclu ne pas être l’autorité compétente en matière d’économies de plateforme. 

Cette fois, la grève, en tant que principale arme de la classe ouvrière, n’a pas servi de pression économique. Ainsi, avoir suspendu sa prestation de travail pendant plus d’un mois et sur plusieurs sites simultanément n’a pas mis en péril l’entreprise ni obligé l’employeur à changer de méthode. 

Au contraire, le profit des plateformes réside surtout dans leur non-respect des dispositifs légaux. Si Smood et les autres plateformes se mettaient à appliquer la loi, elles n’existeraient simplement plus car ce qui permet leur rentabilité et donc leur existence même, c’est la flexibilisation à outrance. Toutefois, si Smood se réclame publiquement de l’amélioration des conditions de travail, annonçant l’application ultérieure de certaines recommandations émises. C’est de la poudre aux yeux puisque « l’amélioration » consiste simplement à appliquer la Loi sur le travail. En bref, pas d’avancées significatives. 

Une partie des livreur·euse·s considère qu’il faut se remettre en grève pour faire plier l’employeur, tandis qu’Unia opte plutôt pour des actions visant la dégradation de l’image de l’entreprise auprès du plus grand nombre. Aujourd’hui, la bataille contre Smood est dans une phase cruciale : continuer l’organisation de la pression collective par d’autres biais ou retourner à ses habitudes usuelles ?

Pour solidaritéS, il est absolument capital d’élargir ce mouvement, soutenir les travailleur·euse·s en lutte et interpeller de façon plus offensive les clients les plus importants de Smood : Migros et McDonald’s. Il n’y a que la lutte et notamment celle menée par en bas qui permettra d’obtenir des gains ! 

Tamara Knezevic