Bénéfices de la BNS pour l’AVS, une perspective insuffisante

La décision de l’Union syndicale suisse de lancer une initiative populaire pour financer le renforcement de l’AVS avec les bénéfices de la Banque nationale suisse mérite quelques commentaires critiques.

Une plage californienne illuminée par les feux de forêt
Le portefeuille de la BNS soutient une trajectoire de réchauffement 4 à 6°C d’ici 2100 (plage californienne illuminée par les feux de forêts)

Constatant le bénéfice record de 26 milliards de francs réalisé par la Banque nationale suisse (BNS) en 2021, l’Union syndicale suisse (USS) veut l’utiliser pour améliorer nos futures rentes AVS, par exemple avec une 13e rente. Selon l’estimation de l’USS, cette somme permettrait de couvrir les besoins supplémentaires de l’AVS des dix prochaines années.

Cette proposition arrive dans un période où les propositions de péjoration des conditions de retraite s’accumulent (augmentation de l’âge de la retraite, baisse des rentes). Elle a le mérite de présenter d’autres chemins possibles que ceux préconisés par le bloc bourgeois. L’USS veut maintenir le système actuel et l’améliorer, par exemple avec le versement d’une 13e rente annuelle.

La demande du versement intégral au fonds AVS de la somme engrangée entre 2015 et 2020 par la politique des taux d’intérêts négatifs (10,1 milliards) n’est pas pour autant une revendication révolutionnaire. Une motion de l’UDC au Conseil national reprenait cette proposition, qui fut rejetée au Conseil des États. 

À priori, la proposition de l’USS semble pleine de bon sens. La Confédération, par l’intermédiaire de la BNS, dispose de beaucoup d’argent. Cette manne est d’ailleurs en partie un accaparement des taux réduits de rendement dûs aux taux négatifs. Le fonds de réserve de la BNS destiné aux futurs versements à la Confédération et aux cantons dispose actuellement de plus de 100 milliards de francs. Les économies prévues avec la réforme AVS 21 (800 millions) représentent 11 jours du bénéfice 2021 de la BNS.

Changer au lieu de rafistoler

Cette proposition va donc dans le sens d’un accroissement du financement public de la sécurité sociale, au lieu de favoriser les solutions de capitalisation individuelles (2e et 3e piliers). Mais pour nous, la réflexion sur ce principe doit se poursuivre et aboutir à une fusion des deux piliers pour un système unique, sur la base d’un financement solidaire. 

L’USS reconnaît d’ailleurs que les rentes AVS ne suivent pas la hausse du coût de la vie et que les rentes du 2e pilier (LPP) se réduisent inexorablement. Pour nous la conclusion est évidente : il s’agit d’un mauvais système de « sécurité » sociale, qu’il s’agit de changer complètement dans son principe, et non pas de le rafistoler avec l’argent de la BNS.

Car un financement à long terme basé sur les bénéfices de la BNS est problématique pour plusieurs raisons. 

Financement problématique

La capitalisation des réserves de la BNS produit des placements que nous ne maîtrisons pas dans une économie capitaliste. Ces opérations couvrent des secteurs certes très rentables du point de vue financier, mais problématiques du point de vue de la préservation des ressources naturelles, de la lutte contre le réchauffement et de la préservation des conditions de travail et de rémunération acceptables. 

L’USS reconnaît ainsi dans son projet l’indépendance de la BNS dans sa politique monétaire. Aucune restriction dans sa politique de placements n’est évoquée, aucune réglementation ne devant entraver l’optimisation des rendements.

Ce financement est basé sur un modèle économique de croissance à tout prix, ce qui n’est pas concevable d’un point de vue écosocialiste. L’amélioration de la sécurité sociale doit se faire dans une perspective de neutralité d’émissions des gaz à effet de serre, de la réduction du pillage des ressources naturelles et de la disparition l’exploitation humaine. 

De plus, comme la distribution des bénéfices n’aura lieu que si ceux-ci sont particulièrement juteux, la part dévolue à l’AVS n’est absolument pas garantie. Si la distribution d’une partie de ces bénéfices pour les cantons et la Confédération reste maintenue (de l’ordre de 6 milliards actuellement), il resterait selon l’USS 2 à 4 milliards par an pour l’AVS. L’USS propose donc un système qui ne peut fonctionner que lorsqu’il y a des profits, et ces profits ne peuvent être importants que s’ils résultent de l’exploitation…

Cette focalisation sur les bénéfices de la BNS laisse dans l’ombre les bénéfices du secteur privé. L’accroissement de la richesse accumulée dans la finance, l’industrie et les services doit être mis à contribution dans le financement des retraites. Car cette accumulation résulte de l’exploitation du travail.

La proposition de l’USS ne constitue pas à nos yeux une alternative acceptable à une refonte complète du système des retraites. Par contre, elle constituerait une solution pour une période de transition vers un nouveau système, en utilisant les bénéfices de la BNS pour réduire les difficultés du passage vers une nouvelle AVS unifiée et pour constituer une garantie facilement représentable pour une majorité de la population et gagner ainsi la bataille dans l’opinion publique.

José Sanchez