La grande arnaque sur les loyers

Un gigantesque transfert d’argent est rendu public dans une étude publiée par l’Association suisse des locataires (ASLOCA). Les données révélées donnent le vertige : depuis 2006, les locataires suisses ont payé 78 milliards de francs en trop à leurs bailleurs et bailleresses*. 

Un manifestant porte une pancarte qui demande la réduction des loyers
L’une des revendications de la coalition Ensemble à Gauche Vaud pour les élections cantonales 2022.

Si l’augmentation des loyers en Suisse se remarque aisément, une étude publiée en février par l’ASLOCA permet de chiffrer plus précisément la situation catastrophique. Selon les calculs du Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS), les locataires en Suisse ont payé entre 2006 et 2021 un total de 78 milliards de francs en trop, soit environ 5 milliards par an. De plus, cette logique s’accélère. En 2021, un ménage locataire a payé en moyenne 26 % de loyer par mois en trop, soit 370 francs. Ainsi, uniquement pour l’année 2021, c’est un total de 10 milliards de francs qui a été injustement perçu. 

Pas d’alignement des loyers sur les taux hypothécaires

Que signifient exactement ces sommes ? Comme le précise l’ASLOCA, une baisse des loyers aurait dû se produire, car les coûts immobiliers ont diminué : les taux hypothécaires sont bas et les coûts sont aussi en baisse pour les bailleurs et bailleresses. Or, la majorité d’entre eux et elles se gardent bien d’appliquer cette baisse des loyers automatiquement. En effet, c’est principalement lors des déménagements que l’augmentation de loyer a lieu. L’étude précise qu’entre 2005 et 2021, les loyers moyens en Suisse ont augmenté de 22,1 %, soit une élévation bien plus rapide que celle de l’indice suisse des prix à la consommation. Cet accroissement s’explique aussi par la spéculation sur les logements par des institutions comme Credit Suisse ou Swiss Life qui en font des objets de rendement.

Les immenses transferts mentionnés représentent donc l’écart entre l’augmentation rapide des loyers alors même que les coûts diminuent pour les bailleurs et bailleresses.

Pour lutter contre ces hausses massives, les locataires peuvent théoriquement se défendre individuellement. Mais comme l’a démontré une large enquête menée en 2021 par l’ASLOCA, il est rare que les locataires contestent un loyer après l’aménagement. C’est le cas dans seulement 6 % des cas, en raison non seulement de la méconnaissance des droits existants mais aussi, dans de nombreux cas, par peur d’entrer en conflit avec les propriétaires.

Agir au niveau fédéral et cantonal contre la hausse constante des loyers

Face à la gravité de la situation et à la difficulté des solutions de lutte individuelle, l’ASLOCA appelle à agir au niveau fédéral, via un renforcement du droit du bail et une amélioration des mécanismes de contrôle des coûts de l’immobilier. 

Dans ce sens, deux initiatives parlementaires ont été déposées par l’ASLOCA au Conseil national et au Conseil des États en juin 2021. Les deux propositions vont dans le même sens, elles visent à éviter les loyers abusifs par des rendements trop élevés : dès la mise en location de trois logements, une révision périodique deviendrait obligatoire afin de contrôler les rendements. 

Alors qu’en 2019, le Conseil national avait refusé une révision globale du système de la fixation des loyers en Suisse, un succès de ces propositions constituerait une base intéressante pour les locataires. 

Le niveau cantonal représente aussi un terrain d’action possible, à l’image de la motion déposée par Ensemble à Gauche Vaud en 2020 visant à renforcer les possibilités des collectivités publiques d’utiliser des procédures d’expropriation en cas de dernier recours. Cet outil pourrait par exemple cibler un immeuble ou un terrain privé, dans le cas où une commune estimerait en avoir besoin pour un projet de construction de logements à loyer abordable. 

Au niveau communal, des revendications peuvent aussi être portées, comme celle, déjà ancienne, d’une augmentation de la part des terrains communaux alloués par la Ville de Lausanne au loyer modéré, qui est actuellement seulement d’un tiers. 

Rêver d’une grève des loyers

Des actions de terrain doivent également impérativement compléter ces projets institutionnels. Ainsi, récemment, l’occupation du site de Clendy-dessous à Yverdon-les-Bains a montré un bel exemple de résistance à un projet dont il est estimé par les militantes et les militants qu’il aurait un effet de gentrification sur le quartier (voir solidaritéS nº 397). 

Des manifestations et d’autres occupations permettraient de mettre en lumière et de protester contre l’injustice flagrante du système actuel de propriété privée des biens communs. Peut-on même rêver d’une grève des loyers en Suisse ? Tournons un instant le regard vers l’international : le mouvement de grève des loyers Cut the rent (« Réduisez le loyer ») mené par des milliers d’étudiant·e·x·s dans les universités britanniques entre 2015 et 2018 avait permis d’obtenir de belles victoires. 

Marie Jolliet

* Un·e personne physique ou morale (banque, gérance, compagnie d’assurance, etc.) qui met un bien immobilier en location.