La grosse droite de Rocky

De quoi Rocky est-il le nom ? Loïc Artiaga, en proposant une inattendue biographie du boxeur incarné par Sylvester Stallone, explore les fantasmes et les angoisses des États-Unis du tournant des années 1980, résolument impérialiste, raciste et sexiste.

Rocky Balboa

1976. Sylvester Stallone alias Rocky Balboa, survêtement gris et bonnet noir, court à travers Philadelphie, accompagné par une musique conquérante. Interminables travellings à travers les quartiers populaires de la ville, sur les docks, jusqu’aux marches du Museum of Art. Rocky les bras levés face aux gratte-ciel et aux symboles de l’indépendance des États-Unis… La légende est née.

La légende, c’est celle d’un petit Blanc, homme de main d’un mafieux local et ouvrier dans un abattoir, et surtout boxeur amateur. Espoir déçu du ring, il se voit offrir une seconde chance : un match contre le champion du monde Apollo Creed, lui-même en quête d’une victoire à peu de frais contre un inconnu. 

Le succès critique et public, puis un Oscar du meilleur film, viennent couronner cette success story ouvrière. Suivront sept autres films étalés sur plus de 40 ans.

Loïc Artiaga a exploré cette saga avec les outils de l’historien. Derrière le conte de fée, il rappelle combien Rocky, dès le premier film et plus encore après, a été le porte-parole de l’idéologie reaganienne triomphante. Quand on veut, on peut : abnégation, résistance à l’effort et à la douleur, volonté à toute épreuve, le boxeur italo-étasunien termine le premier match à l’hôpital, retourne sur le ring, contre l’avis des médecins, dans le deuxième film, s’entraîne dans la neige sibérienne avant de défier le boxeur soviétique du quatrième volet… Si réussite il y a, c’est celle de l’individu porteur des valeurs de l’American Dream, capable de se transcender.

C’est surtout celle d’un homme blanc. Face au champion afro-­américain arrogant, rappelant Mohammed Ali et ses provocations publiques, il incarne la modestie, l’honnêteté, la piété et le courage de ceux qui savent rester à leur place. Il incarne, par son comportement comme par sa carrure, l’Amérique rêvée du président Reagan et de la Nouvelle Droite étasunienne. 

Alors qu’Afro-Américains et Cubains dominent la boxe mondiale de la tête et des épaules, Rocky offre aux Blancs une revanche : pourtant lourd et lent sur le ring, il bat Apollo Creed après quinze rounds d’un match revanche homérique. Avec cette victoire improbable, il propose une histoire alternative de la boxe, qui est une histoire alternative tout court.

Rocky ne rétablit pas seulement

la supériorité raciale du Blanc. Il réaffirme sa virilité, (re)mettant la femme à sa place d’épouse dévouée et passive, puis de mère. Il dénonce les syndicats, les bureaucrates, les journalistes, 

les intellectuel·le·s, les mous·molles

et autres indignes de la nation américaine. En cela, avec une dizaine d’années d’avance, la saga Rocky annonce tout un cinéma d’action en première ligne du backlash idéologique post-­Jimmy Carter, qui fera la fortune du Hollywood des années 1980.

Guy Rouge