Suède

Les racistes pivots des assauts contre ce qui reste de l’État-providence

Les sociaux-démocrates suédois·es ont perdu le pouvoir gouvernemental lors des élections du 11 septembre dernier. Ils·elles seront selon toute vraisemblance remplacé·e·s par un gouvernement de droite composé des Modérés (conservateurs·trices), des Chrétiens-démocrates et peut-être des Libéraux. Le gouvernement cherchera à obtenir le soutien actif des Démocrates de Suède, populistes de droite xénophobes, dont il sera totalement dépendant. 

Bus en feu à la suite d'une émeute
Le groupuscule d’extrème droite Stram kurs organise régulièrement des rassemblements pendant lesquels des Corans sont brûlés. Les émeutes qui s’ensuivent renforcent le discours sécuritaire des Démocrates de Suède. Malmö, 16 avril 2022.

Alors que la préoccupation la plus importante pour les électeurs·trices était celle du système de santé et que la catastrophe climatique devenait de plus en plus saillante, une droite agressive, avec l’aide d’une social-démocratie passive et sans idées, a réussi à faire en sorte que le thème de la criminalité domine la campagne électorale. Ressortant l’antienne d’un lien entre immigration et criminalité, la droite évitait d’aborder les crises climatiques, faisant plutôt campagne en faveur de l’extension de l’énergie nucléaire.

La droite a dépeint une Suède frappée par une vague de violence incontrôlée. Dans les faits, la criminalité a généralement diminué en Suède au cours des dernières décennies, y compris les crimes violents. Par contre, les confrontations armées entre bandes criminelles, principalement liées au trafic de drogue, ont considérablement augmenté. Des centaines de personnes ont été tuées, en grande majorité des membres de gangs, mais également des passant·e·s. Cela a servi de prétexte pour exiger des peines et une répression beaucoup plus dures. 

Le résultat a été un virage brutal vers la droite. Mais le succès du bloc de droite peut être entièrement attribué aux Démocrates de Suède (SD). Tous les autres partis de droite ont perdu des voix. Les SD, ont gagné plus de 3 % des voix et sont de loin le plus grand parti de droite. Le futur gouvernement bourgeois sera entièrement dépendant de leur soutien. Cela signifie rien de moins qu’un tremblement de terre dans la politique suédoise. 

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Pendant longtemps, et notamment à gauche, on a expliqué que le succès des SD était surtout dû au fait que les travailleurs·euses mécontent·e·s avaient voté pour elleux en signe de protestation, mais qu’en réalité, iels étaient toujours sociaux-démocrates et qu’une politique sociale-démocrate un peu plus radicale pouvait rapidement reconquérir leur soutien. C’était grossièrement sous-estimer le parti politique le plus performant de Suède. 

Les Démocrates de Suède ont une direction compétente et déterminée, qui a ses racines dans les mouvements racistes et fascistes. Elle a méticuleusement construit un parti fort, notamment à l’aide des subventions étatiques distribuées aux partis politiques. Le parti est le plus habile sur les réseaux sociaux, sur lesquels la xénophobie est son principal message unificateur. Cela lui a notamment permis d’étendre son influence sur les jeunes électeurs·trices.

Les succès électoraux du parti sont frappants. Lors de son entrée au Parlement en 2010, le parti a obtenu 5,7 % des voix. Depuis, ce soutien est passé à 12,9 %, 17,5 % puis, à 20,6 % cette année. 86 % des électeurs·trices du parti en 2018 ont voté à nouveau pour lui cette année, une fidélité partisane exceptionnellement élevée. De plus, le parti a étendu son socle électoral aussi bien à droite qu’à gauche. Lors cette dernière élection, 14 % des voix provenaient des Modérés et 12 % des Sociaux-démocrates. 

Les Démocrates de Suède ont longtemps été le premier parti des travailleurs masculins. Mais également dans certains secteurs du patronat. Aux dernières élections, ils ont été rejoints par des agriculteurs·trices. Le parti est politiquement homogène. La grande majorité de ses électeurs·trices se décrivent comme étant de droite et s’identifient profondément au credo national-conservateur et xénophobe des SD. Les racines et les liens des Démocrates de Suède avec les groupes racistes et fascistes ne leur posent pas de problème. 

Contamination

Jusqu’à l’élection de 2018, un « cordon sanitaire » empêchant toute collaboration avec un parti xénophobe et d’extrême droite existait, même au sein de la bourgeoisie

suédoise. Ce cordon s’est rompu depuis. D’abord par le patronat, qui a réussi à faire accepter aux SD la poursuite de la privatisation de la protection sociale. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que la présidente des Chrétiens-démocrates Ebba Busch invite leur dirigeant Jimmy Åkesson à partager un plat de Köttbullar (les fameuses boulettes de viande à la suédoise) et ouvre la voie à une coopération parlementaire organisée. Mais le parti ne s’est pas laissé apprivoiser. Au contraire, le programme des Démocrates de Suède a largement influencé celui des partis bourgeois. « Aucun autre parti n’a résisté comme les Démocrates de Suède contre l’augmentation de l’immigration », s’est enthousiasmé le chef des Modérés et futur premier ministre Kristersson. « Ils ont donné un bon exemple dans la lutte contre la criminalité » a déclaré le chef des Libéraux, Johan Persson. 

Nous voyons le résultat. Dans toutes les régions en dehors des grandes villes, ils·elles obtiennent généralement 25 à 30 % des voix, dépassant parfois de 10 % les Modérés, le principal parti bourgeois des 45 dernières années. Il ne fait aucun doute que les SD auront une occasion exceptionnelle d’influencer la politique du nouveau gouvernement, même s’ils·elles choisiront probablement de ne pas y adhérer formellement.

Compromission

Les sociaux-démocrates ont été au gouvernement durant les huit dernières années, bien que les partis bourgeois détiennent la majorité au Parlement avec les Démocrates de Suède. Cela a été possible parce que les Libéraux et le Parti du centre ont conclu un accord politique avec les sociaux-démocrates. L’un des objectifs était de marginaliser les Démocrates de Suède. 

Dans cet accord, les sociaux-démocrates ont fait des concessions importantes et ont accepté, entre autres, une baisse des impôts pour les hauts revenus, une réduction de la sécurité de l’emploi pour les travailleurs·euses et l’introduction de loyers contrôlés par le privé. Le gouvernement social-­démocrate a également mis en œuvre une série de mesures visant à réduire l’immigration et à abaisser la politique suédoise en matière d’accueil au niveau minimum de l’UE. La surveillance des frontières a été renforcée, le regroupement familial a été rendu plus difficile et les réfugié·e·s ne pourront plus compter sur des permis de séjour permanents. 

Au cours de la campagne électorale de cette année, la tactique des sociaux-démocrates a essentiellement consisté à adapter leur programme à celui de la droite. Des questions telles que la crise climatique ou la défense de l’État-­providence face aux assaut des intérêts privés, qui faisaient officiellement partie du programme électoral des sociaux-démocrates, ont joué un rôle secondaire, si tant est qu’elles aient été évoquées. 

Les sociaux-démocrates ont plutôt essayé de surenchérir la droite en demandant des peines plus sévères – le fait que le gouvernement ait présenté quelque 70 lois dans ce sens a été constamment répété. De même, le lien entre criminalité et immigration a été martelé. Une législation spéciale a été proposée pour les personnes « non nordiques » et la première ministre a évoqué avec condescendance des « Somalitowns ». Le redéveloppement de l’énergie nucléaire a également été accepté. 

La capitulation la plus notable a cependant été la décision d’abandonner 200 ans de politique officielle de neutralité suédoise et de soutenir une adhésion de la Suède à l’OTAN. La position initiale des sociaux-démocrates après le 24 février était qu’une adhésion suédoise à l’OTAN contribuerait à déstabiliser davantage la situation politique en matière de sécurité en Europe du Nord. Cependant, la direction du parti a choisi de céder à la pression intense des partis de droite – sans laisser les membres du parti prendre position. La raison principale de ce revirement rapide était de ne pas laisser la question devenir un thème de la campagne électorale. Ils·elles y sont parvenu·e·s. 

Nooshi Dadgostar
Nooshi Dadgostar, leader du Parti de gauche, en campagne.

Intégration

Les sociaux-démocrates ont obtenu leur deuxième plus mauvais résultat en 111 ans, malgré une augmentation des voix de 28,3 à 30,4 %, et ont donc perdu le pouvoir gouvernemental. L’augmentation du vote social-démocrate peut s’expliquer par un glissement vers la droite au sein du bloc de gauche également. 

Le Parti de gauche a obtenu un résultat médiocre, passant de 8 à 6,7 %. La direction du parti a fait une campagne d’inspiration étasunienne autour de la leader du parti Nooshi Dadgostar tout en essayant de se présenter comme les nouvelleaux sociaux-démocrates. L’un des leurs objectifs était de tenter de reconquérir les « travailleurs·euses des villages » attiré·e·s par les Démocrates de Suède. Le Parti de gauche a ainsi minimisé les questions qu’il pensait peu populaires auprès de cet électorat, comme, par exemple, l’OTAN ou changer de mode de vie pour sauver le climat. 

Le parti a également soutenu une proposition des partis bourgeois pour une forte réduction du prix de l’essence. En outre, ils·elles ont exigé d’entrer dans un éventuel gouvernement rouge-vert qui inclurait également le néolibéral Parti du centre. En conséquence, le Parti de gauche a perdu des voix, en particulier parmi les travailleurs·euses qu’il a essayé d’atteindre – tandis que les Démocrates de Suède ont poursuivi leur ascension dans cet électorat. 

Le Parti de gauche et les sociaux-­démocrates se sont bien maintenu·e·s dans les grandes villes. La Suède rappelle ainsi de nombreux autres pays européens avec des grandes villes rouges et une campagne bleue – ou brune-bleue.

Il est clair que les forces qui offrent aujourd’hui une résistance à la vague de droite se trouvent parmi les mouvements qui luttent contre la crise climatique, le racisme, le sexisme et l’austérité sociale. Certains syndicats se sont également radicalisés, surtout dans les secteurs de la protection sociale et des services publics. Aujourd’hui, la gauche a une tâche énorme pour construire une large contre-offensive avec ces forces, centrée sur la crise climatique et la défense de l’État-providence.

Kjell Östberg  Socialistisk Politik (Suède)