Allemagne
Succès massif du ticket à 9 €
Cet été 2022, l’Allemagne a expérimenté durant trois mois une baisse importante des tarifs des transports publics, bousculant certaines croyances sur l’impact des tarifs sur l’usage des transports publics.
Selon certain·e·s expert·e·s, la gratuité ou la baisse des tarifs des transports publics n’aurait que peu d’effet car le prix ne serait « pas un motif déterminant » dans le choix du mode de transport. L’Allemagne vient de faire, avec éclat, la démonstration du contraire. En juin, juillet et août, on pouvait se procurer un ticket mensuel à 9 € pour circuler librement dans tous les trains et bus régionaux du pays. Seuls les trajets longue distance étaient exclus du dispositif.
Une saturation révélatrice
En tout, 52 millions de tickets ont été vendus en trois mois, et 10 millions d’abonné·e·s ont reçu automatiquement le sésame. Spectaculaire pour un pays de 80 millions d’habitant·e·s. Résultat : les transports publics ont été pris d’assaut et les images de quais de gare bondés et les récits de trains retardés – ponctualité au plus bas depuis 10 ans – ont fait le tour du monde.
Cette surcharge du réseau, si elle a créé quelques déconvenues et mis sous pression les travailleurs·euses de la branche, aura au moins permis de mettre en lumière le manque d’investissement structurel dans les transports publics par rapport à leur potentiel réel d’utilisation. Cette surcharge temporaire devrait donc servir d’électrochoc pour réaliser l’aspiration de la population à prendre le train et le bus, et entraîner des investissements en conséquence !
Ce « billet unique » est aussi une simplification : une fois acquis, plus de question à se poser (« Suis-je dans la bonne zone tarifaire ? », « Mon billet 1 h est-il encore valable ? »). Les sondages sont clairs : 88 % des acheteurs·euses en étaient satisfait·e·s, avec toutefois un écart important entre la forte satisfaction des urbain·e·s – à portée d’une offre conséquente – et les ruraux·ales, dont le réseau à disposition est moins efficace.
Un bilan positif… qui aurait pu être bien meilleur !
Même si une étude démontrait que la mesure avait permis d’éviter l’émission d’1,8 million de tonnes de CO₂, le report modal de la voiture aux transports publics est resté assez modeste. 10 % seulement des titulaires d’un billet à 9 € disaient remplacer au moins un de leurs trajets quotidiens en voiture. Mais la légère décrue du trafic motorisé a toutefois permis une diminution des embouteillages dans les agglomérations.
On notera que le paquet de mesures contre l’inflation, dont le ticket à 9 € faisait partie, comprenait aussi une aide pour l’achat de carburant (35 ct. de rabais par litre d’essence et 16 ct. pour le diesel), brouillant malheureusement le signal.
D’aucun·e·s dénoncent l’impact plus fort sur les trajets de loisirs, et assez faible sur les pendulaires. Et alors ? Contrairement à une idée reçue, les trajets pour se rendre au travail représentent une minorité des déplacements dans les agglomérations (25 à 30 % seulement) et, vu sa dispersion horaire et géographique, c’est bien la mobilité de loisir qui est la plus dépendante de l’automobile et pour laquelle la bascule sur les transports publics représente le plus grand défi.
Et dans la durée ?
Si le report modal a été relativement faible, c’est sans doute surtout parce que la mesure n’était que temporaire : qui changerait durablement ses habitudes de mobilité pour une offre qui ne dure que trois mois ? Ce ticket à 9 € devrait au contraire, vu son succès, être prolongé. Les manifestations dans les gares et le mouvement #9euroticketbleibt ont permis d’ouvrir une brèche, et le gouvernement étudie désormais cette possibilité… mais à des tarifs allant de 49 € à 69 € par mois, soit davantage que certains abonnements régionaux actuels ! Une aberration.
Une pétition en ligne demandant le maintien du ticket à 9 € jusqu’à fin 2022 et la mise en place durable d’un ticket à maximum 1 € par jour a déjà recueilli plus d’un demi-million de signatures. La pétition demande également un renforcement du financement des transports publics.
Cette expérience à large échelle montre bien que la baisse des tarifs des transports publics est un levier important pour sortir de la tétanie concernant la politique de mobilité et pour sortir de l’idée qu’une politique écologiste ne serait qu’un empilement de taxes. Couplée à des investissements massifs sur le réseau et ses fréquences, à des mesures de contrainte fortes contre le trafic individuel motorisé ainsi qu’à une amélioration des aménagements cyclables et piétons, la baisse des tarifs de transports publics est une clé majeure pour opérer la grande bascule dont nous avons besoin pour sortir les transports des énergies fossiles.
Thibault Schneeberger