Pour un art plus accessible et moins jargonnant

Matthias Sohr est artiste et historien. Il a fondé l’espace d’art lausannois Bureaucracy Studies. Il vient de lancer une revue d’art rédigée en langage simplifié. Entretien.

Couverture de la Revue de Bureaucracy Studies
Couverture du premier numéro de la Revue de Bureaucracy Studies

Peux-tu nous présenter la démarche autour du premier numéro de la Revue de Bureaucracy Studies et les artistes qui y sont présenté·e·x·s ?

En 2018, j’ai fondé l’espace d’art Bureaucracy Studies sur la friche de Malley, dans l’atelier d’artistes mis à disposition par la Ville de Lausanne. La revue d’art du même nom, dont le premier numéro vient de paraître, permet d’expérimenter avec un format différent. Ce numéro présente le travail de la performeuse ghanéenne crazinisT artisT qui traite des questions de genre et du manque de droits LGBTQIA* au Ghana. Il y a également deux articles de la curatrice Yasmine d’O. que j’ai repris du Side Magazine, revue d’art que l’artiste Saâdane Afif a cofondé à l’occasion de la biennale Bergen Assembly en Norvège. 

On présente aussi une vidéo de Kent Chan dans laquelle des DJs des quatre coins du Sud global mixent dans leurs forêts tropicales respectives. Pour finir, un texte aborde les questions politiques autour du langage simplifié, et un long article critique l’élitisme dans l’art contemporain.

Les textes sont rédigés d’une façon particulière, pourquoi ce choix ?

En 2016, j’ai commencé à faire traduire les textes que les commissaires d’expositions écrivaient sur mon travail artistique en langage simplifié, dit souvent « langage facile », ou encore langage facile à lire et à comprendre (FALC).

Quel que soit le degré du jargon d’art utilisé par les commissaires qui écrivaient sur mon travail, les différentes traductrices spécialisées en langage facile se concentraient sur les mêmes questions : qui est l’artiste ? Que montre-t-il dans son exposition ? Quand celle-ci a-t-elle lieu et où ? Ce focus sur des éléments factuels, à rebours des textes d’exposition classiques, m’a questionné et intéressé. J’ai donc repris cette méthode pour la communication de l’espace d’art Bureaucracy Studies puis la revue du même nom, sans toutefois m’y enfermer totalement.

Dans la Revue de Bureaucracy Studies, Stefanie Koehler, membre du Netzwerk Leichte Sprache allemand, résume, retours à la ligne caractéristiques inclus : 

« Un bon langage facile :
a des règles,
est corrigé par des expert·es,
sa relecture est bien rémunérée. »

Quels sont les liens entre langage simplifié et le contenu de la revue ?

Mis à part le texte de Stefanie Koehler, le lien entre cette écriture et le contenu de la revue n’est pas direct, mais plutôt dans la volonté de faire les choses autrement. Le langage simplifié ne doit pas nécessairement s’intéresser à des faits simples. Que ce ne sont pas seulement les questions administratives qui sont traitées en langage simplifié, mais aussi les faits divers, ou internationaux, ou poétiques, ou émancipateurs qui ne regardent pas seulement les personnes en situation de handicap. Ainsi, les traductions de Yasmine d’O. relues par l’experte Janina Spang sont une tentative de transmettre en langage simplifié leur aspect poétique. Il y a là, dans le meilleur des cas, une force décloisonnante. À chaque lecteur·trice de juger si Revue de Bureaucracy Studies y parvient.

Malgré des initiatives intéressantes, la plupart des lieux d’art contemporain, qu’ils soient alternatifs ou institutionnels, restent aujourd’hui déconnectés de la réalité de la majorité de la population. Quelles sont les réflexions à ce sujet dans le milieu culturel indépendant romand ? Quelles pistes concrètes pour démocratiser l’art contemporain ?

Je ne pense pas que l’art et ses milieux sont nécessairement moins accessibles ou plus déconnectés de la majorité de la population que d’autres secteurs de la vie fortement bureaucratisés.

Matthieu Vonnez, ancien rédacteur au GRAAP, a écrit un très bel article au sujet de « L’élitisme dans l’art contemporain ». Il parle de l’« air hautain » d’artistes, de commissaires d’art et d’amateur·trices d’art. Mais Matthieu Vonnez porte aussi un regard sur son propre snobisme et termine sur un appel à la démocratisation et la médiation de l’art :

« Je maintiens qu’aimer l’art, 
cela s’apprend, 
seul ou guidé. »

Propos recueillis par Marie Jolliet

bureaucracystudies.org

Le langage simplifié

Le langage simplifié, appelé également FALC (facile à lire et à comprendre), est un langage qui facilite la compréhension aux personnes qui ont de la peine à lire. Pour elles en particulier, plus un texte est compliqué, moins il est compris. Il peut aussi être un outil pour les personnes avec des difficultés d’apprentissage  et les personnes qui ne parlent pas bien le français.

Le langage simplifié utilise certaines règles, notamment :

  • des mots simples : finir au lieu d’achever 
  • pas de mots en langue étrangère : ordinateur au lieu de computer 
  • des nombres en chiffres et non en lettres : 5 au lieu de cinq 
  • des phrases courtes et simples.

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