Hébergement d’urgence dépassé, extrême précarité en hausse

L’accueil bas seuil a augmenté sa capacité de 100 lits dans la capitale vaudoise. Une ouverture temporaire alors que les acteurs·rices des prestations sociales de dernier filet s’accordent à dire que la logique saisonnière fait défaut. 

Une vue de l'espace d'accueil Le Répit à Lausanne
La Fondation Mère Sofia a dû cesser temporairement de gérer le Répit, structure lausannoise d’accueil de nuit et dont la capacité a été dépassée ces derniers jours.
Marino Trotta

Ce n’est pas l’hiver qui rend problématique de dormir dehors. La santé des personnes qui n’ont pas d’endroit où aller est en danger toute l’année. Par ailleurs, les collectivités publiques avaient prévu un financement pour une ouverture au 1er décembre. À croire que les 4 degrés en moyenne et les précipitations de novembre vont être entièrement compensés par le réchauffement climatique. C’est un financement privé qui a permis l’ouverture au 1er novembre, exceptionnellement. Ce qui a malheureusement montré les besoins et les manques : « Le Répit [structure d’accueil – ndlr] a été sursollicité depuis son ouverture », indiquait la Fondation Mère Sofia le 25 novembre. C’est la protection civile qui a assuré l’accueil durant quelques jours.

La charité remplace le secteur social

Déjà la 3e nuit d’ouverture la capacité était dépassée avec 123 personnes et les derniers soirs c’est 170 personnes qui ont demandé à entrer à la Rue Saint-Martin 38B.

Une sursollicitation qui a impliqué la fermeture par l’équipe et une reprise par des personnes non formées et accompagnées par des prestataires externes pour assurer le nettoyage et la sécurité. L’accueil inconditionnel n’est donc plus garanti puisqu’un prestaire externe va assurer la sécurité et le refoulement de certaines personnes en détresse. Le financement privé des institutions sociales est généralisé en Suisse.

Imaginez un instant que ce soit le cas pour l’école ou les routes ! Le secteur social est du service public, il faut sortir de la logique de la charité ! Sans parler que la logique du «don» tend à déprofessionnaliser l’accompagnement social et à légitimer le système politique et économique en place qui crée la précarité et creuse les inégalités.

Précarisation du personnel

Au contraire, pour accueillir du public de la manière visée par le Répit il est nécessaire d’être formé·e et de pouvoir exercer dans des conditions de travail viables. Précarité, pression, conflictualité, travail de nuit 7/7, il y a de quoi s’inquiéter ! Sans parler que les intervenant·e·s du secteur social ont déployé une énergie colossale pour assurer leurs missions malgré les restrictions et les risques pendant les années de pandémie, et aucune indexation ni prime n’a été accordée au personnel.

La profession traverse une crise de confiance importante et l’État refuse d’en prendre la mesure alors que cette situation a des conséquences sur la qualité des prestations voire leur pérennité. 

Auto-organisation face à l’indifférence

Mentionnons l’incapacité du service public à répondre à la grande précarité des personnes en joue avec les politiques du refus d’asile (qu’on ne peut plus humainement appeler droit d’asile). C’est face à ce constat que le collectif Jean Dutoit a réussi à occuper des lieux pour héberger, depuis 2015, une septantaine de personnes. Pourtant, actuellement, le collectif est dans une situation dramatique (le lieu actuel est insalubre), et toutes les tentatives de discussion avec la Ville de Lausanne et les autres communes se sont soldées par des échecs alors même que le dispositif d’urgence est dépassé. 

Définir une politique de l’hébergement d’urgence !

Le Conseil d’État persiste à refuser de définir une stratégie cantonale de l’hébergement d’urgence, et plus globalement une politique sociale du logement. Sa position se limite au subventionnement de projets proposés au bon vouloir des communes, des associations et des fondations. À l’heure actuelle, cinq communes disposent d’hébergements d’urgence dans le canton : Lausanne, Renens, Yverdon, Nyon et Vevey. L’expérience de terrain démontre depuis des années que ces lits ne sont pas suffisants. Le manque de coordination crée une inertie : il faut une vision d’ensemble, notamment en termes de répartition des lieux, de solidarité entre les communes qui hébergent et celles qui ne le font pas, car le manque de définition des rôles mène à la déresponsabilisation.

Cette politique disparate de l’hébergement d’urgence n’est pas adaptée aux besoins et ce décalage produit des effets pervers : pérennisation et aggravation des situations de précarité (avec un impact sur l’état psychique et physique des personnes concernées), personnes à la rue, corps professionnel et associatif en souffrance. Les situations du Répit et du collectif Jean Dutoit en sont des exemples saisissants, qui devraient pousser les autorités à définir une politique de l’hébergement d’urgence qui réponde véritablement aux besoins et permette de sortir de la précarité et de l’urgence au sein même des structures d’accueil afin de répondre au besoin fondamental d’un toit pour toutes et tous.

Manon Zecca    Joëlle Minacci