«Les pouvoirs ne font pas attention à notre danse»

C’est par ces mots qu’Alireza terminait sa lettre d’adieu adressée à son éducateur avant de mettre fin à ses jours, le 30 novembre dernier. Si la destinée tragique de ce jeune homme de 19 ans venu se mettre à l’abri en Suisse est singulière, elle illustre la politique suisse en matière non seulement de migration mais aussi en matière de protection de l’enfance et des jeunes adultes.

Des manifestants en colère contre le suicide d'Alireza
Manifestation en hommage à Alireza et contre les renvois, Genève, 8 décembre 2022

Fuyant la guerre en Afghanistan, puis des violences traumatisantes dans les camps grecs, Alireza pensait être protégé en Suisse. À Genève, il était hébergé par l’Hospice Général au foyer de l’Étoile. Très vite, il s’engage dans des relations sociales avec ses pairs et avec les professionnel·le·s qui l’entourent. Il apprend le français, réussit scolairement et dans des activités en dehors de l’école. Malgré une décision négative du Secrétariat d’État au migrations (SEM), il maintient cet engagement. Fin novembre, le Tribunal administratif fédéral confirme la décision de le renvoyer en Grèce malgré les risques suicidaires indiqués dans les certificats médicaux de ses psychiatres. L’éducateur l’oriente alors vers un juriste pour une ultime demande aux autorités cantonales afin de bloquer l’expulsion. 

Cette dernière lueur d’espoir n’a pas été suffisante. Alireza s’est suicidé le 30 novembre

Une réaction exemplaire 

L’impact du drame est tel que jeunes non accompagné·e·s, soutiens, juristes, éducateurs·trices se regroupent et décident d’une marche le 8 décembre. Symboliquement, la manifestation de près d’un millier de personnes part du siège de l’Hospice Général pour rejoindre celui du Conseil d’État. 

Très organisés, les nombreux jeunes mènent le cortège avec des revendications très claires : une vie digne, la fermeture de l’Étoile et qu’il n’y ait « pas de troisième Alireza ». Rappelons qu’un premier jeune prénommé Alireza s’était suicidé au foyer le 27 mars 2019, un peu moins d’un an après un jeune majeur érythréen, Yemane.

Derrière, les soutiens sont présents en nombre : membres de collectifs, professionnel·le·s de l’enfance mais aussi de nombreuses personnes touchées par la mort d’Alireza. La cousine de ce dernier, venue spécialement d’Allemagne, y est écoutée dans un silence respectueux tandis que le directeur de l’Hospice Général est sifflé aux cris de «Hospice injustice». La colère est grande contre l’institution chargée de l’Étoile, foyer dont l’inadéquation est dénoncée depuis des années et que le Conseil d’État tarde à fermer.

Le conseiller d’État en charge du Département de la cohésion sociale est lui aussi critiqué pour avoir prétendu dans la presse que le renvoi d’Alireza n’aurait pas été effectué. Les associations lui rappellent que le Conseil d’État répond toujours à leurs demandes de sursoir par « c’est le SEM qui décide » !

Des autorités lamentables 

Si ce sont effectivement les autorités fédérales qui décident des renvois, ce sont les autorités cantonales qui les effectuent. Par exemple, le matin du jour où Alireza s’est donné la mort, la police genevoise est allée chercher Amiran, 9 ans, et sa maman pour les renvoyer en Géorgie. 

Mais commençons par les autorités fédérales qui ne se donnent plus les moyens d’accueillir dignement les requérant·e·s en attente de décision dans ses centres fédéraux et se déchargent sur les cantons. Elles sont sous le feu des critiques pour leurs renvois en Croatie et l’inhumanité des interrogatoires qu’elles font subir aux réfugié·e·s. Soi-disant débordées, elles viennent de suspendre l’accueil des réfugié·e·s particulièrement vulnérables du programme de réinstallation de l’ONU. La déclaration d’une porte-parole du SEM justifiant la non-prise en compte du certificat médical attestant de risques suicidaires chez Alireza par le fait qu’il n’y ait eu qu’un suicide pour 5000 renvois est l’illustration de choix politiques sidérants. Tellement inhumains que même le PDC genevois propose une résolution demandant aux autorités fédérales une «protection renforcée des réfugiés mineurs non accompagnés jusqu’à l’âge de 25 ans» !

Du côté des autorités cantonales, la seule mesure concrète après ce drame a été de mettre un camion de police rempli d’hommes en tenue de maintien de l’ordre devant le cimetière de Carouge pendant l’enterrement d’Alireza

Pas de troisième Alireza !

Au parlement, une motion rédigée par notre camarade Aude Martenot demande au Conseil d’État de refuser d’exécuter le renvoi de personnes vulnérables, de faire en sorte que les avis médicaux soient considérés et de permettre aux jeunes de poursuivre leur formation ou de travailler. Elle exige enfin la fermeture de l’Étoile et son remplacement par des structures à taille humaine, ce que les député·e·s avaient d’ailleurs voté en octobre 2019. 

Dans la rue, solidaritéS poursuit son soutien à la lutte des mineur·e·s, des jeunes majeur·e·s, organisé·e·s de façon autonome, et à celle des associations. Nous continuerons d’interpeller ce Conseil d’État à majorité socialiste et verte, partis dont nombre de militant·e·s sont engagé·e·s dans la défense des migrant·e·s, pour réclamer un droit de rester, notamment pour les jeunes exposés à des renvois au moment même où je termine cet article.

Thomas Vachetta