Un regard écoféministe sur la ville

Pour son Université d’automne en octobre dernier, solidaritéS a invité la militante de l’État espagnol Joana Bregolat, pour explorer le lien entre ville et féminisme.

Des occupants du quartier libre de Clendy-Dessous tiennent une banderole "Et si habiter signifiait plus que vivre entre 4 murs?"
Quartier libre de Clendy-Dessous à Yverdon, 2021

À la manière dont les pensées et pratiques écoféministes abordent le monde, c’est bien en prenant conscience de nos expériences situées que Joana Bregolat, militante d’Anticapitalistas (État espagnol) et chercheuse écoféministe en culture queer, nous propose d’aborder la thématique des villes et de leur rôle en tant qu’actrices du capitalisme. Les vécus, obstacles et propositions possibles à la déconstruction et reconstruction de nos modes de (co)habitation sont spécifiques aux corporalités de chaque espace urbain et politique, même si des similarités existent évidemment.

Les villes, milieux dans lesquels sphères de production et de reproduction s’entremêlent entre béton et frénésie, sont le produit de différentes visions et logiques financières compétitives. Les espaces de vie et les individus sont répartis et assignés de manière à ce que des droits fondamentaux se trouvent piétinés par des contraintes et dépossessions matérielles. Le conflit capital VS vie s’y joue particulièrement puisque c’est là que les principales ressources et valeurs sont gérées et monétarisées, au travers de l’exploitation du travail, du tourisme et de l’extraction des revenus urbains – soit le circuit des loyers, circuit fermé qui ne sert que ses propres intérêts et ne produit aucune valeur en soi.

Perspectives écoféministes

Les différents mouvements écoféministes sont un ensemble de courants de pensées et d’analyses politiques dont les voies se côtoient, et parfois se contredisent. Tous s’inscrivent néanmoins dans une volonté de remettre en question le système actuel. Ils visent à déconstruire les approches dualistes qui opposent, par exemple, nature et culture afin de hiérarchiser et s’intéressent aux luttes de terrain au-delà du concept.

L’accent sur la conscience des besoins et réalités situées demande d’envisager nos manières d’être et faire en fonction de la pluralité du vivant, des atouts et possibilités environnementales, en donnant de la place aux identités dissidentes.

Ce qui est entendu par écoféministe ici est défini à partir d’une position marxiste révolutionnaire. On propose, en expliquant les liens historiques, matériels et idéologiques des processus de domination et d’appropriation qui se produisent conjointement sur le vivant, la nature et le corps des femmes, une émancipation et une rupture avec le système capitaliste.

Cela passant par le démantèlement radical des fondements du dyacishétéropatriarcat en réclamant la valeur et la force de ce qui est déconsidéré ou invisibilisé, comme le care. Car le reclaim, le fait de reprendre, de revendiquer, est un outil central des approches écoféministes.

Construire autour du care

La recherche menée par Joana Bregolat et d’autres militant ·e·x·s vise à proposer des lignes d’action concrètes pour la ville méditerranéenne de Barcelone. Cette recherche isole neuf axes abordés à partir de postulats tels qu’une économie féministe et écologiste, la notion de communs, de droits collectifs et de résilience et a permis de formuler plusieurs propositions politiques concrètes. De manière non exhaustive, au-­delà de la priorité qu’est la régularisation de toutes les personnes sans-papiers, on peut citer la nécessité de proposer des réseaux de soins publics et territorialisés. Repenser les services et lieux d’accompagnement des soignant·e·x·s et des bénéficiaires de soins, en les adaptant à leurs horaires et besoins, est une condition essentielle pour améliorer la qualité de vie des ouvrier·ères·x·s.

La création d’espaces communautaires, comme des cuisines collectives, et de supermarchés publics et coopératifs favorisant des produits de saison permettrait non seulement des réseaux de solidarité et d’entraide mais aussi une économie d’énergie. L’’aménagement de nos quotidiens de manière à permettre des trajets diminués et communs est urgent, les villes cristallisant la majorité de nos transactions énergétiques. L’urbanisme est donc un élément clé pour parler de politique environnementale, avec des souverainetés énergétiques municipales.

Nous avons besoin dès maintenant, pour répondre au métabolisme de la ville et de la vie, de schémas énergétiques et sociaux démarchandisés où les personnes vivent à leur service et non à celui des impératifs de production du capital. Les expériences de quartier libres, comme celui qui a pu exister à Clendy-Dessous à Yverdon en 2021, ont valeur d’inspiration et d’impulsion. Les pratiques écoféministes nous apprennent que nos interdépendances et relations aux écosystèmes et aux autres doivent se construire directement autour du care.

Al S. Gutierrez