Royaume-Uni
Casser le dos du mouvement ouvrier
Depuis bientôt six mois, les travailleurs·euses britanniques sont imbriqué·e·s dans une lutte industrielle au long-terme. D’abord contre le patronat, et, de plus en plus, contre le gouvernement conservateur. Face à l’inflation, il s’agit de déterminer qui va payer pour la crise.
L’été dernier, les conducteurs·rices de métro et de trains se sont mis en grève contre des réformes imposées par le patronat et pour revendiquer une hausse de salaire. Leur syndicat, le Rail, Maritime, and Transport Workers (RMT), a utilisé l’opportunité de cette grève pour faire augmenter le niveau de la lutte. Ses dirigeant·e·s ont rappelé l’importance de l’outil de la grève sur les plateaux de télévision et ont appelé à leur multiplication dans tous les secteurs.
Which side are you on ?
Cette stratégie s’est montrée extrêmement efficace. Non seulement le taux de syndicalisation a augmenté rapidement, mais il est devenu difficile de compter toutes les grèves locales et nationales qui se sont succédées depuis le mois d’août : employé·e·s de la poste et magasiniers·ères Amazon, éboueurs·euses et dockers, pompiers·ères, infirmiers·ères et personnel paramédical, chauffeurs·euses de bus, fonctionnaires, profs d’université et enseignant·e·s… Toutes et tous se sont mis en grève et se mobilisent pour ne pas répéter le scénario post-2008, lorsqu’on a fait porter le coût de la crise économique aux travailleurs·euses par un large et violent programme d’austérité.
L’argument de classe se construit donc en pratique : il y a celleux qui travaillent et celleux qui accumulent, celleux qui souffrent et celleux qui profitent, celleux qui font grève et celleux qui les combattent. Comme le dit la vieille chanson de mineurs : « which side are you on boys, which side are you on…»
Les victoires sont encore peu fréquentes et limitées, mais ni l’État, ni le patronat n’ont réussi à contrer, ou même à contenir la vague de grèves qui continue de s’étendre. La répression devient dès lors plus importante.
Entraver les syndicats
D’un côté, les médias jouent leur rôle idéologique de manière tellement grossière qu’il est difficile de ne pas penser que c’est devenu contre-productif pour gagner « les cœurs et les esprits ». Le public britannique est abreuvé d’« interviews » et de programmes télés qui accusent les syndicats de semer le chaos, d’essayer de gâcher Noël, ou encore de haïr la nation, la couronne, ou l’armée. De l’autre côté, le gouvernement renforce son arsenal antisyndical, pourtant déjà bien étoffé.
À la mi-janvier, le parlement britannique a commencé à discuter d’une proposition de loi, soumise par le gouvernement, qui vise à limiter encore plus le droit de grève, tout en facilitant la répression par les patron·ne·s. Sous le couvert de « garantir un service minimum », la nouvelle loi vise à entraver drastiquement la possibilité d’action dans des domaines clés : santé, transport, éducation, services ambulanciers et du feu.
Si le gouvernement obtient gain de cause, les employeurs pourront plus facilement traduire les syndicats en justice pour des grèves « non justifiées », licencier des grévistes et imposer de lourdes amendes aux syndicats récalcitrants. La limite de ces dernières a récemment été quadruplée, passant ainsi de 250 000 à 1 000 000 de livres.
Limiter le droit de grève
Même dans un pays comme le Royaume-Uni, où les lois antisyndicales sont déjà particulièrement fortes, et ce depuis l’ère Thatchérienne des années 1980, les propositions du gouvernement représentent un assaut d’une violence rare contre un droit démocratique de base. D’autant plus que cette proposition n’est que la dernière d’une longue liste.
Le gouvernement dirigé par le Parti conservateur a par exemple imposé que le taux de participation des travailleurs·euses syndiqué·e·s dans une entreprise au vote de grève doit atteindre 50 % pour être légal. En plus, le gouvernement a rendu légal le recrutement de travailleurs·euses à durée déterminée pour remplacer les grévistes. En un mot, le gouvernement cherche à rendre l’organisation de grèves de plus en plus difficile, tout en augmentant les risques – et les coûts – qu’encourent les syndicats.
Il est clair que le gouvernement ne cherche ni à convaincre, ni à négocier. Son but est de casser le dos du mouvement ouvrier pour pouvoir continuer à imposer, en paix, le règne effréné du capital. Les travailleurs·euses britanniques, s’ils·elles veulent éviter de payer pour la crise, n’ont d’autres alternatives que d’augmenter la pression et de renforcer le mouvement de grèves – même si de nouvelles lois et restrictions lui sont imposées. Comme le dit le vieux dicton anglais : « la seule façon d’abroger une loi injuste, c’est de l’enfreindre ». En masse.
Sai Englert