Transports publics gratuits
Déni démocratique climaticide
Ces dernières années, une nouvelle vague d’initiatives pour la gratuité des transports publics, essentiellement romande, relance une question posée pour la première fois à Bâle en 1972. Les réponses des cantons et des villes varient. Retour sur une situation pour le moins confuse.
La première de cette série d’initiatives pour des transports publics gratuits est déposée en février 2018 dans le canton de Neuchâtel. Viennent ensuite les dépôts dans le canton de Fribourg en décembre 2020, en ville de Berne en mai 2021, dans le canton de Vaud en janvier 2022 et en juillet 2022 à Genève. Si l’objet avait pu être librement voté auparavant, l’ajout dans la Constitution suisse d’un nouvel alinéa en février 2014 puis sa mise en vigueur en janvier 2016 met en péril la potentielle gratuité des transports.
Invalidations en cascade
L’article 81a al. 2de la Constitution stipule en effet que « Les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts ». Le Conseil municipal de la ville de Berne, se basant sur une interprétation littérale du texte, invalide l’initiative début 2022. Il est suivi par le Canton de Fribourg en mai 2022 et, en février 2023, par l’Exécutif cantonal genevois.
Chaque invalidation est justifiée par l’interprétation proposée par le professeur d’université zurichois Felix Uhlmann. Aucun autre avis de droit n’est demandé et les autorités pointent du doigt les précédentes invalidations pour justifier leurs décisions. Cette situation est particulièrement consternante à Genève, où le Conseil d’État est tenu par une majorité rose-verte.
Lueur d’espoir et indifférence
Le seul canton qui voit son initiative validée est Vaud. Le Conseil d’État vaudois a préféré se baser sur une autre interprétation ainsi que sur la loi fédérale qui réglemente les tarifs des entreprises de transport. Cette dernière permet aux Cantons et Communes de demander des réductions de tarif tant qu’ils·elles en assument les coûts. Dans cette perspective, les Cantons et villes de Suisse sont libres de demander la gratuité à condition de la financer. Cette validation, postérieure aux invalidations bernoise et fribourgeoise, n’a manifestement pas contribué à motiver les autorités genevoises et neuchâteloises à se positionner de manière similaire.
Dans le canton de Neuchâtel, la situation est même pire, puisque le Conseil d’État neuchâtelois ignore simplement l’initiative, refusant de la traiter. C’est pourtant la première initiative de ce genre à avoir réuni le nombre requis de signatures en Suisse romande. Ce dossier indésirable somnole ainsi depuis cinq ans dans les placards du Canton et ce sans aucun égard pour les 4676 signataires, tout en faisant fi des délais légaux de 2 ans et demi. Pour protester contre le dédain des autorités, les initiante·x·s ont manifesté le 23 février dernier en distribuant des billets de transports publics gratuits symboliques.
Pourquoi interdire la gratuité ?
L’ajout de l’art 81a al.2 provient d’un contre-projet direct adopté en 2014. L’initiative initiale lancée par l’Association transports et environnement prévoyait une nouvelle répartition de l’impôt sur les huiles minérales à parts égales entre le secteur routier et les transports publics après déduction de la part revenant à la Confédération.
Si l’initiative avait été acceptée, 800 millions de francs de plus auraient été ajoutés au budget des projets d’extension ferroviaires. Ne voulant pas couper les fonds routiers, le contre-projet direct propose de créer un fonds ferroviaire avec de nouvelles taxes et d’ajouter l’alinéa 2. Le Conseil fédéral craint en effet que si la mobilité est trop bon marché, la demande augmentera de manière trop importante et étouffera le système. Si on ne peut qu’être consterné·e face à cette politique du pas à pas et la volonté manifeste de ne pas effectuer de transfert route-rail trop rapide malgré l’urgence climatique déjà présente il y a 10 ans, l’article sera ajouté et accepté en votation.
Recours au Tribunal fédéral
Face à l’invalidation prononcée, le comité d’initiative fribourgeois a déposé un recours auprès du Tribunal fédéral (TF) en juillet 2022. Le comité genevois a également déposé un recours dans le but de suspendre la décision de l’Exécutif dans l’attente du jugement du TF.
Si le rail ne peut pas être gratuit selon la Constitution, les transports publics régionaux (bus et trams notamment) n’étaient pas visés par les modifications du contre-projet. En dépassant l’interprétation strictement littérale et en prenant compte du contexte, de la volonté des législateur·ice·x·s et des liens avec les autres articles du contre-projet, les invalidations perdent tout sens et témoignent de la volonté politique de se débarrasser d’une initiative qui propose un projet écologique et social.
Les différents comités d’initiative espèrent que le TF saura prendre en compte les différents éléments du recours fribourgeois et ne laissera pas les efforts de récolte témoigner en vain de la volonté populaire de transports publics gratuits.
Clément Bindschaedler