Rivalité, nom féminin

Une récente polémique a permis de révéler le livre Rivalité, nom féminin de la journaliste française Racha Belmehdi. Un ouvrage essentiel pour déconstruire le mythe de la rivalité féminine.

La schtroumpfette regarde un monstre dans les yeux
Le syndrome de la Schtroumpf­ette se réfère aux œuvres dans lesquelles un groupe d’homme n’est accompagné que d’une seule femme, en général définie de manière stéréotypée.

À l’heure où le concept de sororité se démocratise, l’essai choisit de décortiquer une thématique d’envergure : la rivalité féminine. Dans son ouvrage Rivalité, nom féminin, paru en 2022, la ligne directrice est formelle : laissons enfin la parole aux femmes pour traiter ce sujet dont nous sommes les principales concernées. Ainsi, l’autrice interroge uniquement des témoins et expertes qui s’identifient au genre féminin. Si la rivalité entre les femmes est directement liée à l’impact de l’influence « patriarcapitaliste » de notre société, elle souligne aussi notre difficulté à renverser la domination masculine alors que nous sommes déjà trop occupées à nous tirer dans les pattes.

Alors que l’ouvrage débute par une énumération des (trop nombreux) domaines dans lesquels la détestation féminine et l’affirmation de son infériorité est illustrée et constamment réactualisée – littérature, cinéma, musique ; mais aussi de manière plus enracinée dans la mythologie et la science – Racha Belmehdi nous rappelle que l’extrême droite participe aussi de cette dévalorisation en considérant l’émancipation des femmes et la dévirilisation des hommes comme une décadence pour notre société contemporaine.

Intégration ou révolution

Depuis la manic pixie dream girl jusqu’au syndrome de la Schtroumpf­ette, l’essai nous enseigne des termes inhérents à notre condition féminine et notre éternelle inclination à nous mettre en compétition les unes par rapport aux autres – le terme Schtroumpfette renvoie par exemple à l’idée qu’il n’y aurait de la place que pour une seule femme au sein d’un groupe complètement masculin. 

Un autre mécanisme sur lequel Racha Belmehdi met l’accent est celui du boys’ club, qui consiste en un groupe de solidarité masculine s’assurant un certain pouvoir en créant l’union (pensons par exemple aux cinéastes de la Nouvelle Vague) et qui tend à bannir systématiquement les femmes. Pour intégrer cet entre-soi, celles-ci devront imiter les comportements de leurs collègues masculins et dénigrer ainsi leurs consœurs.

Le chapitre que je retiens tout particulièrement concerne la dénonciation d’une autre sorte de féminisme que Racha Belmehdi qualifie de « féminisme BBP » (Blanc Bourgeois Patriarcapitaliste). Il s’agit pour certaines femmes d’une volonté de disposer des mêmes droits que les hommes sans pour autant remettre en question notre société et ses travers. Ainsi, le terme businesswoman apparu ces dernières années renvoie à la réussite d’une femme (une seule) qui assume la responsabilité de diriger des employé·e·s au sein d’une entreprise. 

Loin de remettre en question les conditions de travail des femmes, cet autre féminisme souhaite imiter les automatismes d’oppression masculine et, comme l’autrice le résume bien, obtenir « une égalité des chances de dominer ». Plutôt qu’un changement de société radical, ce que propose le féminisme BBP n’est qu’une autre façon de servir le patriarcat et le libéralisme.

Une navrante illustration

Nous pouvons d’ailleurs nous attrister que ce soit la récente polémique au sujet de Quotidien, célèbre émission télé française, qui a finalement permis à ce livre d’être mis en lumière. À la mi-­février, la maison d’édition qui a publié l’ouvrage reçoit une demande de service de presse urgente de la part de Quotidien et s’empresse d’envoyer un exemplaire. Le soir de l’émission, la chroniqueuse Ambre Chalumeau, qui accueillait sur son plateau Rachida Dati (dont la rivalité avec Anne Hidalgo a été constamment mise en scène au fil de sa carrière politique), aborde le sujet de la rivalité féminine et reprend des exemples issus du livre de Racha Belmehdi. 

Or, ni le titre de l’ouvrage ni le nom de l’autrice ne seront cités au cours de cette émission. Alors que Belmehdi révèle cette injustice sur les réseaux sociaux (« Mon travail est devenu le sien en une poignée de secondes »), l’opinion publique s’enflamme au cours du weekend. Elle contraint la journaliste à donner des explications en fin d’émission le lundi, laquelle défend que le livre n’a pas été ouvert et que les exemples ayant servi à sa chronique étaient tirés d’Internet et de ses connaissances personnelles. 

Au-delà des sentiments mitigés qui se dégagent de cette déclaration vite évacuée, il n’est pas inintéressant de se demander pourquoi la chroniqueuse n’a pas plutôt choisi de soutenir l’autrice. Une simple mention du livre auraient suffi à dissiper le conflit et encourager le travail d’une autre femme, qui est loin de bénéficier des privilèges Blancs Bourgeois Patriarcapitalistes…

Comme l’énonce Racha Belmehdi : « Les dominés doivent rester soudés pour ne pas chuter.» C’est par l’union que nous pourrons changer les choses et son ouvrage Rivalité, nom féminin nous rappelle que la lutte n’est pas terminée.

Iuna Allioux