Goût sucré, travail amer

« Lutter ensemble par-delà les frontières. 40 ans de luttes pour la libération sociale. » C’est avec ce slogan que Solifonds fête cette année son 40e anniversaire.  Le 1er mai 1983, celui-ci a mené sa première action de solidarité internationale pour appuyer les syndicats d’Afrique du Sud, alors sous régime d’apartheid.

Des travailleuses récoltent des fraises en Espagne
Récolte de fraises à Huelva, Andalousie

Depuis des années, Solifonds soutient particulièrement le travail du Syndicat andalou des travailleuses (SAT) dans la province de Huelva, qui présente un fort taux d’immigration de Magrébin·e·s pour la culture et la récolte des fraises. Les cueilleuses marocaines, qui participent à la récolte de janvier à juin, travaillent dans des conditions particulièrement précaires. 

À l’occasion de son anniversaire, Solifonds a invité deux syndicalistes marocaines : Soumia Benelfatmi El Garrab, travaillant à Huelva avec le SAT, et Zaina Issayh, de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA) au Maroc. Nous les avons rencontrées.

Soumia a travaillé comme ouvrière agricole dans les champs de fraises pendant 14 ans. Les patron·ne·s et autorités espagnoles préfèrent les femmes des campagnes, mères célibataires ou veuves avec des enfants qui subviennent donc seules aux besoins de leur famille. La plupart sont analphabètes. Elles sont plus de 15 000 à venir chaque année avec un contrat de six mois à la fin duquel elles retournent au Maroc. Les autorités prétendent que cela sert à lutter contre la pauvreté. En réalité, elles veulent surtout s’assurer que les cueilleuses ne restent pas en Espagne une fois la saison finie, mais retournent auprès de leurs enfants au Maroc.

Les conditions de travail sont pénibles. Les contrats ne sont jamais respectés. Les cueilleuses travaillent 3 à 4 heures supplémentaires par jour et ne sont pas toujours payées pour ces dernières. Si la travailleuse demande le respect de ses droits, le patron l’inscrit sur une liste noire qui réduit à néant ses chances d’être réembauchée l’année suivante. Elles doivent être disponibles sur appel et ne touchent pas de salaire quand il n’y a rien à faire. 

Logements insalubres

Bien que la convention collective de travail dans le secteur agricole de Huelva prévoie un salaire minimum, des pauses et une indemnité pour le trajet jusqu’au lieu de travail, les employeurs la violent régulièrement.

Pour Soumia, quatre axes de revendications prioritaires prévalent : un logement décent, un accès à la santé, le respect du contrat et le respect pour les femmes saisonnières. Assez souvent, le logement proposé par le patron est très précaire, insalubre et loin du lieu du travail. Les travailleuses sont ainsi logées dans des conteneurs ou taudis faits de murs en carton et de toits en plastique, sans eau courante ni sanitaires. Soumia se révolte et nous dit que même les animaux sont mieux logés. 

L’accès aux soins est particulièrement important pour les travailleuses. Seulement une minorité d’entre elles obtient la carte sanitaire qui permet d’avoir accès aux médicaments et à l’assistance sanitaire comme les Espagnoles. Si elles ne vont pas travailler un jour parce qu’elles sont malades, elles ne reçoivent pas de salaire, même si le contrat assure, sur le papier, le congé maladie. Au travail, une grande partie des femmes subissent des insultes racistes, sont l’objet d’abus, de harcèlements et de violences sexuelles. La plupart d’entre elles n’osent pas dénoncer ce type de comportements. Elles craignent de se faire renvoyer au Maroc, et la perte de leur salaire, dont elles ont cruellement besoin pour soutenir leurs familles.

Sanctions antisyndicales

Soumia nous fait part aussi de la difficulté qu’elle rencontre comme syndicaliste pour aborder les saisonnières et exiger avec elles le respect des contrats. La plupart des cueilleuses ne veulent pas de problèmes, elles veulent pouvoir revenir l’année suivante et si un patron voit une travailleuse parler avec une syndicaliste, il pourrait prendre des sanctions à son encontre. Soumia ne peut pas s’approcher des champs, elle va à la rencontre des saisonnières les soirs dans les grandes surfaces.

Depuis quelques années, le SAT collabore avec le FNSA du Maroc pour contacter les cueilleuses dès leur recrutement, leur expliquer leurs droits en Espagne et les aiguiller vers le SOC-SAT. C’est le travail de Zaina Yssayh. Elle prévoit également de les épauler après leur retour au pays, notamment lorsqu’il reste des salaires impayés en Espagne. Son but est de maintenir le contact syndical d’une saison à l’autre. 

Elle nous raconte la difficulté au Maroc du FNSA pour pouvoir exercer la liberté syndicale et être un interlocuteur des saisonnières et du Ministère du travail marocain. Elles comptent sur la solidarité internationale pour faire pression sur les autorités espagnoles et marocaines afin que les lois et contrats signés soient respectés. Malgré des conditions de travail très pénibles, elles ont obtenu de petites victoires, qui les encouragent à continuer le combat.

L’adversité qu’elles rencontrent n’a brisé ni l’enthousiasme ni la combativité de ces deux syndicalistes. Nous avons une dette envers elles : diffuser leurs luttes et élargir notre solidarité.

Témoignages recueillis par Juan Tortosa