Les sciences économiques dominantes, évolutions historiques

Les sciences économiques dominantes (orthodoxe, mainstream) se sont développées en trois grands domaines : la microéconomie, la macroéconomie et l’économétrie. Des débuts de l’école néoclassique, en passant par l’apport de la macroéconomie et finissant par le tournant empirique de l’économétrie, revenons sur quelques événements marquants de la construction de cette discipline.

Milton Friedman tient une planche à Billets
L’économiste libéral Milton Friedman (1912–2006) a obtenu le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 1976.
PBS

Débuts et développements de la microéconomie

Les sciences économiques dominantes se sont construit historiquement autour de la microéconomie et des écrits des économistes marginalistes de la seconde moitié du 19e siècle comme Léon Walras, Carl Menger ou William Stanley Jevons. Cette école de pensée dite néoclassique se distancie des économistes classiques comme Adam Smith, David Ricardo, mais aussi de Karl Marx, en ce qu’elle considère que la valeur des biens n’est pas déterminée par la quantité de travail nécessaire à leur production mais se situe au niveau de l’utilité marginale des agents. C’est-à-dire du bien-être subjectif (ou disposition à payer) tiré de la dernière unité d’un bien consommé. 

La valeur n’est créée que lors de l’échange. Les agent·e·s commercent entre elleux jusqu’au point où iels n’y trouvent plus d’intérêt. L’équilibre de concurrence pure et parfaite, version idéale d’une économie sans aucune friction, permet ainsi de maximiser la valeur totale créée au sein d’une économie. Il s’agit d’une situation dite « efficace » et donc socialement optimal. Au siècle suivant, avec le recours aux mathématiques, les modèles se complexifient et intègrent différents éléments comme le monopole, la concurrence monopolistique, l’asymétrie d’informations, les externalités. L’intervention de l’État sur les marchés est considérée comme délétère sur le premier modèle de la concurrence pure et parfaite. Cependant, en ajoutant des « distorsions de marchés » (pollutions, pouvoir sur les prix) à ce dernier, l’action publique est appelée à rétablir l’équilibre socialement optimal.

De Keynes à Friedman, macroéconomie des années 1930–1980

On peut dater le début de la macroéconomie moderne aux écrits de John Maynard Keynes ↗︎, notamment sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de 1936. Cette discipline cherche à pallier les manquements théoriques de la microéconomie en ce qu’elle prend comme point de départ d’analyse les décisions agrégées des agent·e·s et la cyclicité des phénomènes économiques (contrairement à la stabilité des équilibres de marchés théorisée par la microéconomie). 

La crise de 1929 a prouvé que les marchés laissés à eux-mêmes ne pouvaient garantir la prospérité générale. Il s’agit donc d’apporter des outils de compréhension afin de guider l’action de l’État comme partie prenante de l’économie. Celui-ci peut faire recours à la politique budgétaire en augmentant les dépenses publiques afin de relancer la consommation lors de crises ou se doter d’une banque centrale à même de pourvoir l’économie en monnaie afin de stimuler cette même consommation. 

De ce fait, on parle ainsi d’une politique de la demande. Ce sont les dépenses des ménages (et gouvernementales), donc le pouvoir d’achat et les dispositions à consommer de ses premiers, qui guident les cycles économiques. Cette discipline intègre ensuite des éléments de la microéconomie néoclassique pour former la synthèse néoclassique. 

Les années 1970, avec la première crise du pétrole et la stagflation, phénomène économique présentant une forte inflation accompagnée du retour du chômage de masse, mettent en lumière les solutions proposées par l’école monétariste de Milton Friedman. L’intervention de l’État est à nouveau considérée comme déstabilisatrice. Il faut donc s’en tenir à une politique monétaire peu interventionniste, ce qui justifie des politiques d’austérité et de privatisations. C’est ainsi via l’offre, et donc la production et les entreprises, que doit se relancer l’activité économique (« flexibilisation » du marché du travail, impôts sur les bénéfices faibles). La monnaie doit être émise sur les marchés à taux constant. Les banques centrales se limitent donc à juguler l’inflation sans tenir compte des effets désastreux de ce type de politiques sur l’emploi.

Économétrie et le tournant empirique

L’économétrie est un domaine d’étude qui cherche à quantifier et tester les modèles théoriques à l’aide de méthodes statistiques quantitatives. Elle se développe à partir des années 1930 et prend une importance considérable au tournant des années 1990. Selon cette discipline, on ne peut se résoudre à comprendre le monde social via de simples corrélations. Il est nécessaire de détricoter l’interdépendance des variables afin de quantifier chaque potentiel lien de causalité. 

L’économétrie fait appel à des « expériences quasi naturelles ». Ces dernières s’inspirent de la randomisation effectuée en laboratoire. Il s’agit d’observer deux ensembles de variables jugées comme suffisamment similaires mais qui subissent un choc exogène qui affecte l’un des deux ensembles dit « de traitement », à l’opposé de l’ensemble dit « de contrôle ». On peut ainsi mesurer la différence « toute chose étant égale par ailleurs » de l’effet du choc. Pour autant, il est impossible d’éliminer totalement la présence de liens de causalité inverses, variables omises et autres biais de mesures.

Antoine Völki

Cet article est le début d’une série consacrée aux sciences économiques dominantes.