Ukraine

Pour notre et votre liberté. Les anti-autoritaires sur le front ukrainien

Après l’invasion de l’Ukraine par Poutine, de nombreux·euses antiautoritaires s’y sont rendu·e·s pour lutter pour la libération de l’Europe de l’Est. Un commandant anarchiste qui combat dans la légion internationale des forces armées d’Ukraine revient sur la contre-offensive, sur l’organisation de l’armée et sur le nationalisme. 

Des soldats ukrainiens sur le front

Peux-tu te présenter ?

Mon indicatif d’appel est Salam. Je suis un anarchiste bélarusse et commandant d’équipage de mortier dans la légion internationale. Il y a plusieurs autres anarchistes dans mon peloton.

Pourquoi la contre-offensive est-elle difficile ?

La contre-offensive se poursuit dans les zones où les forces d’occupation se sont retranchées il y a plus d’un an et où elles pourraient se préparer à l’offensive dans un calme relatif. Les troupes ukrainiennes ont de grandes difficultés à franchir cette ligne de défense. Des armes occidentales plus avancées pourraient y contribuer et sauver de nombreuses vies de soldat·e·s ukrainien·ne·s. Mais le nombre d’armes fournies n’est pas suffisant à l’heure actuelle et l’offensive avance donc lentement. En même temps dans la direction de Bakhmout, où je travaille, les succès et la rapidité de l’offensive sont plus élevés. Là, les forces ennemies ont eu moins de temps pour préparer une ligne défensive solide.

Comment s’organisent les relations hiérarchiques au sein de l’armée ?

Officiellement, l’armée est organisée selon le système vertical ordinaire dans lequel les décisions sont prises par les commandants de haut niveau et transmises de haut en bas. Mais la manière dont les relations sont construites directement au sein des équipes peut être très différente de ce système officiel. Dans de nombreux bataillons, compagnies et pelotons, il existe un système d’entraînement plus horizontal, et tous les combattant·e·s sont considéré·e·s comme égaux·alles, quels que soient leur âge, leur expérience dans l’armée et leur grade. 

Souvent, à la demande de l’équipe, les gens postulent aux postes de commendants de niveau inférieur. D’après mon expérience personnelle, les unités dotées de cette « démocratie militaire » peuvent être plus efficaces que les unités dotées d’une structure verticale stricte.

Quelle est l’attitude envers le nationalisme dans l’armée ?

En général, l’attitude de la société ukrainienne à l’égard du nationalisme est maintenant positive. C’est encore plus vrai pour l’armée. Par exemple, certaines parties portent le nom des combattants de l’État national ukrainien au début du 20e siècle. Par exemple, la 93e brigade Kholodnyi Yar.

Pour la plupart des gens, ce nationalisme a un caractère protecteur. Depuis 2014, la société ukrainienne lutte contre l’impérialisme russe, et le nationalisme constitue une tentative de briser l’hégémonie culturelle russe.

Est-il possible d’exprimer librement sa position politique libertaire dans l’armée ?

Officiellement, dans l’armée, on ne peut pas du tout exprimer sa position politique. N’importe laquelle. Mais dans la pratique tout est différent. Jusqu’à présent, je n’ai entendu aucune histoire où un·e camarade aurait dû faire face à des problèmes en raison de ses convictions.

Là où mes camarades et moi servons, on peut librement porter des symboles anarchistes et antifascistes, discuter avec d’autres combattant·e·s et cela ne pose aucun problème.

Y a-t-il de la propagande envers les troupes russes ?

Naturellement. Il y a plusieurs campagnes pour que les soldats russes se rendent. Un soldat russe peut se tourner vers eux et ils l’aideront à se rendre à l’armée ukrainienne en sécurité relative. Il y a des blogueurs qui filment des interviews de prisonniers russes. Bien sûr, cela se fait volontairement et sans contrainte, afin de montrer aux soldats russes que rien ne menace leur vie et leur santé en captivité. 

Récemment, une opération spéciale a été menée, au cours de laquelle un pilote russe a posé son hélicoptère en Ukraine et l’a remis aux troupes. Lui et sa famille ont obtenu l’asile pour cela.

J’ai entendu que de nombreux combattant·e·s libertaires en Ukraine ont déjà combattu en Syrie aux côtés des YPG.

C’est vrai. Au début de la guerre, alors qu’il n’existait encore qu’un seul détachement anti-autoritaire, ce sont des camarades étranger·ère·s ayant une expérience « kurde » qui étaient nos instructeur·ice·s. Mais notre guerre et la leur sont très différentes. Au Rojava, l’ennemi ne disposait pas de ressources et de capacités aussi énormes, il n’y avait pas une quantité d’artillerie aussi importante, etc. 

Comment aimerais-tu voir l’avenir de l’Ukraine ?

Une question intéressante, je pense peu à l’avenir de l’Ukraine. Toutes mes pensées sont tournées vers le Bélarus et ce qu’il devrait être après sa libération du régime de Loukachenko.

En tant qu’anarchiste, j’aimerais voir l’Ukraine du futur faire partie d’une fédération planétaire libre. Mais nous sommes encore loin de la révolution mondiale et de la libération complète. Le minimum que je souhaiterais, c’est une Ukraine indépendante qui aurait quitté la zone d’influence de la Russie et n’aurait pas rejoint l’UE ni l’OTAN. L’Ukraine dispose de mouvements populaires puissants, capables d’influencer la prise de décision d’en haut. J’aimerais voir l’Ukraine progressiste et décentralisée.

Y a-t-il autre chose que tu aimerais mentionner ?

Nous attendons des camarades occidentaux non du westplaining et des discussions arrogantes sur la forme dans laquelle cette guerre devrait se terminer. Nous attendons de votre part solidarité et aide. Le peuple ukrainien a le droit de décider lui-même comment et sous quelle forme doit se terminer la guerre dans laquelle il affronte héroïquement un immense empire sans âme.

Nous aimerions tou·te·s ici que les camarades occidentaux cessent de croire aveuglément aux récits de la propagande russe que nos ennemis diffusent, y compris à travers les organisations de gauche et les médias. La prochaine fois que vous déciderez de répéter le mythe sur la junte d’extrême droite à Kiev, regardez le succès électoral des partis d’extrême droite en Ukraine et, par exemple, en Allemagne.

Comment peut-on aider?

Par la diffusion d’informations véridiques sur la situation en Ukraine et l’assistance directe sur le terrain. Le plus simple est de soutenir financièrement les Collectifs de Solidarité. C’est un réseau de bénévoles qui aide les anti-­autoritaires de gauche dans la guerre et les civils touchés par cette guerre.

Propos recueillis par Rébecca Mathieu

→ Pour soutenir les Collectifs de Solidarité