Russie

Les preuves ne sont pas nécessaires pour réprimer sous Poutine

Depuis quelques années, la persécution sous des affaires fabriquées s’est intensifiée en Russie. Les accusations de terrorisme et les longues peines, fondées sur des aveux obtenus par la torture, ne sont pas rares à l’encontre de militant·e·s de gauche. Les membres de l’équipe de soutien des accusés dans l’affaire des antifascistes de Tioumen témoignent de cette répression. 

Collage en soutien à un prisonnier politique, victime de la répression en Russie
Dessin de soutien à l’anarchiste russe Yuri Neznamov accusé dans le cadre de l’affaire de Tioumen. Sur l’une des copies du procès-verbal de son interrogatoire, Yuri a laissé une marque SOS
Anonyme

Quand la persécution des antifascistes a-t-elle commencé ?

La Russie est depuis longtemps devenue un lieu dangereux pour tous les individus ayant des principes et des idées de gauche: des antifascistes, des anarchistes, des militant·e·s des droits humains et même des avocat·e·s qui ne sont pas d’accord avec ce qui se passe et qui veulent se battre pour la liberté de celles et ceux illégalement accusé·e·s sous des articles politiques. L’une des premières affaires très médiatisée similaire à la nôtre a été l’affaire des anarchistes « Réseau » en 2017 (Ce dernier avait été désigné comme organisation terroriste et interdit, ndlr)

Par la suite, le nombre de prisonniers·ères politiques a commencé à augmenter systématiquement d’année en année. Nous ne voulons pas dire que tout a commencé avec l’affaire «Réseau», la répression a commencé bien plus tôt. Mais, après la condamnation injustifiée des antifascistes dans cette affaire, les forces de « l’ordre » ont pris conscience de leur impunité. Aujourd’hui, l’État poursuit une politique d’intimidation, tuant dans l’œuf toute libre-pensée et tout désaccord. Et il n’est absolument pas nécessaire d’avoir des convictions radicales et de s’engager dans un militantisme ouvert pour aller en prison. En témoigne le grand nombre de nouvelles lois et d’affaires pénales qui surviennent après le début de la guerre, l’affaire de Tioumen ne fait pas exception.

Toutes les détentions et arrestations illégales et injustifiées n’apparaissent que parce qu’elles correspondent à la politique réactionnaire poursuivie par l’État. Nous nous abstiendrons de tirer toutes les relations causales, car en parler ouvertement à notre époque est dangereux.

Qui sont les persécuté·e·s dans d’autres affaires?

Le mathématicien Azat Miftakhov et certains accusé·e·s dans l’affaire de «Réseau» (Viktor Filinkov, Vasily Kouksov, Ilya Shakoursky, Andrey Tchernov, Mikhail Koulkov) ont ouvertement déclaré leur position antifasciste. Tous purgent actuellement des peines dans différentes parties du pays. Les antifascistes peu connu·e·s qui sont également actuellement en détention sont Luba Lizounova (assignée à résidence), Alexander Snezhkov, Savely Frolov, Rouslan Oushakov, Mikhail Ivanov, Bogdan Yakimenko. Il y a aussi des militant·e·s: l’activiste artistique Pavel Krisevitch, les activistes Dmitri Ivanov, Ivan Koudryashov, Alexandra Skotchilenko.

Pourquoi l’affaire de Tioumen a-t-elle été fabriquée ?

Entre le 30 août et le 1er septembre 2022, Kirill Brik, Deniz Aidyn, Yuri Neznamov, Danil Chertykov, Nikita Oleinik et Roman Paklin ont été arrêtés dans trois villes. Les forces de sécurité affirment avoir saisi des explosifs sur Kirill et Deniz lors de l’arrestation. À l’heure actuelle, tous les six ont été inculpés d’«organisation d’une communauté terroriste et participation à celle-ci»

Nikita est le seul à connaître les cinq accusés, c’est pourquoi l’enquête a fait de lui un «leader». 

Les autres se connaissaient indirectement: certains étaient amis depuis longtemps, d’autres ne s’étaient jamais rencontrés du tout. Nikita risque jusqu’à trente ans voire l’emprisonnement à vie, les autres jusqu’à quinze ans. 

Cette affaire a été fabriquée pour intimider les citoyen·ne·s. De plus, «dévoiler un groupe terroriste» aide certains policiers à gravir les échelons de carrière à la vitesse de l’éclair. Comme l’affaire «Réseau», celle de Tioumen se base uniquement sur les aveux sous la torture physique et psychologique des six détenus. 

L’arrestation est-elle liée à la montée de la répression après le début de la guerre en Ukraine?

Oui, sans aucun doute. Dans les documents accusatoires, l’enquêteur a écrit la supposée motivation des gars: créer de toutes pièces une «organisation terroriste» prétendument conçue pour renverser le gouvernement et commettre un sabotage anti-guerre sur le territoire de la Russie. 

Selon le ministère de l’Intérieur, les jeunes allaient faire exploser les bureaux d’enregistrement et d’enrôlement militaires, les services de police et les chemins de fer utilisés par les trains transportant du matériel militaire se rendant en Ukraine. En fait, c’est une excuse commode pour mettre nos amis derrière les barreaux, car l’issue des cas liés à la guerre est connue. 

L’enquête dure depuis un an maintenant et pas un seul élément de preuve, hormis des témoignages sous torture, n’est encore apparu dans l’affaire. Maintenant, il n’est absolument pas nécessaire d’être radical pour aller en prison. N’importe qui peut être le·la prochain·e.

Ont-ils été torturés ?

Tous les accusés dans l’affaire ont été soumis à des tortures. Ils ont été battus avec des décharges électriques, étouffés avec des sacs plastique, menacés de viol avec une vadrouille. Yuri a dit plus tard à l’avocat qu’il était obligé de signer sur des feuilles vierges: les agents ont menacé de placer des explosifs avec ses empreintes sur ses proches. Il a été forcé de chanter des chansons nationalistes et, après chaque décharge électrique, de crier qu’il aimait Poutine. La commission d’enquête n’enquête pas sur ces tortures.

Que faisaient les accusés avant l’arrestation?

Tous les six sont anarchistes et antifascistes. 

Portrait de Danil Chertykov, opposant russe emprisonné, victime de la répression en Russie
Danil Chertykov

Danil est l’un des meilleurs vétérinaires d’Ekaterinbourg, spécialisé en chirurgie orthopédique. Avant son arrestation, il a travaillé dans deux cliniques vétérinaires. Comme spécialiste de premier plan dans le domaine de la chirurgie vétérinaire, il a constamment assisté à des conférences scientifiques et maîtrisé les technologies modernes en chirurgie et en endoscopie. Il n’a jamais refusé de l’aide et n’a jamais rien demandé en retour, et son rire sincère peut toujours désamorcer même l’atmosphère la plus tendue.

Portrait de Deniz Aidyn, opposant russe emprisonné, victime de la répression en Russie
Deniz Aidyn

Deniz organisait des mariages. Il mène une vie saine et fait du sport. Il joue magistralement de la guitare et était donc très demandé dans divers groupes musicaux. Il protège toujours les faibles, se rapporte chaleureusement aux animaux. Dans un moment difficile, il pouvait venir à l’autre bout de la ville pour t’aider. 

Portrait de Kirill Brik, opposant russe emprisonné, victime de la répression en Russie
Kirill Brik

Kirill a beaucoup travaillé dans un atelier de réparation automobile, a toujours répondu aux demandes d’aide. Il a participé activement au développement de la scène musicale de la ville de Tioumen et écrivait de la musique électronique. Depuis décembre 2022, il ne répond plus aux lettres d’ami·e·s. Nous craignons que, sous la pression, il ait conclu un accord préalable au procès. 

Portrait de Yuri Neznamov, opposant russe emprisonné, victime de la répression en Russie
Yuri Neznamov

Yuri est un athlète. Très optimiste, il plaisante beaucoup et ne perd jamais sa bonne humeur. Il fait de la boxe thaïlandaise et étudie les technologies de conception graphique. Il est un designer indépendant talentueux. Ses ami·e·s proches confient qu’il est une personne gentille et modeste. 

Portrait de Roman Paklin, opposant russe emprisonné, victime de la répression en Russie
Roman Paklin

Roman est un végétarien et un sportif, très modeste. Il travaillait dans une grande entreprise comme mécanicien automobile. En prison, Roma écrit de la poésie, s’intéresse au yoga, aux pratiques spirituelles et à la psychologie.

Portrait de Nikita Oleinik, opposant russe emprisonné, victime de la répression en Russie
Nikita Oleinik risque la prison à vie.

Nikita est un straight edge et végétarien, très intelligent et toujours fidèle à ses principes. Il rêve de devenir chirurgien. C’est une personne dotée d’un grand sens de la justice, toujours prête à aider.

Boris Kagarlitsky était un dissident de gauche depuis les années 70 et a été emprisonné en 1982 par les autorités soviétiques. Il est ensuite devenu l’un des principaux intellectuels de gauche en Russie. Pourquoi a-t-il été incarcéré en juillet dernier sous des accusations de justification de terrorisme ?

C’est un moment très propice pour mettre en prison en toute impunité et illégalement. Des dizaines de mise en détention ont lieu chaque jour, plus personne ne s’étonne, tout le monde est habitué à vivre dans une tension constante. 

Le nombre de prisonniers·ères politiques augmente chaque jour et la société n’a pas le temps de se remettre d’une détention très médiatisée, car une autre se produit juste là. Les accusations de terrorisme sont devenues une sorte d’« articles du peuple ». L’expérience montre que la preuve dans ce cas n’est pas nécessaire, et les peines sont longues.

Comment aider les prisonniers·ères politiques ?

L’aide la plus efficace aux prisonniers·ères politiques est matérielle. Nous croyons qu’un·e avocat·e consciencieux·euse a le pouvoir de changer le cours d’une affaire, même à notre époque. Un·e avocat·e honnête est capable de prévenir ou d’arrêter la torture, de s’assurer que les droits du ou de la prisonnier·ère à l’intérieur du centre de détention sont respectés, et si le·la prisonnier·ère n’est pas libéré·e, alors au moins réduire la période de sa captivité. Un·e avocat·e est un lien entre un·e détenu·e et sa famille, ses amis, et par conséquent, un soutien inestimable qui aide à ne pas se décourager et à continuer le combat pour la justice.

L’état mental du ou de la prisonnier·ère et son état émotionnel sont également des facteurs déterminants dans ce combat difficile. Si une personne désespère et reste toute seule avec ses expériences et ses problèmes, il sera presque impossible de l’aider. Il faut soutenir les prisonniers·ères politiques de toutes nos forces, leur montrer qu’iels ne sont pas seul·e·s, que nous ne sommes pas indifférent·e·s, donc des lettres régulières et des mots de soutien sont aussi très importants.

Propos recueillis par Rébecca Mathieu