Reconstruire la protection sociale pour toutes et tous
Ce projet a été publié sous la forme d’un livre à télécharger gratuitement sur denknetz.ch
Ensemble à Gauche Genève a invité Verena Keller, professeure honoraire de la HETS-HES-SO et membre du think tank de gauche le Réseau de Réflexion / Denknetz, pour discuter de leur projet novateur de réforme des assurances sociales en Suisse. Entretien.
Protéger de manière égalitaire et unifiée toutes les personnes dans toutes les situations de manque de revenu – voilà ce que propose le Réseau de réflexion. Son modèle de réforme simplifie, harmonise et élargit les prestations de la protection sociale suisse.
Pourquoi réformer la protection sociale?
Le système de protection sociale suisse protège de manière fiable une partie de la population. Or, ce système est compliqué et présente de graves lacunes. Selon la cause du manque de revenu – accident, maladie, invalidité, chômage, maternité – une assurance différente qu’il faut identifier couvre une partie du salaire perdu, chacune selon sa propre logique. Une partie des travailleurs·euses n’est pas ou très insuffisamment couverte: tous les risques ne sont pas assurés (par ex. le divorce), la durée de la prestation est limitée dans le temps et que le montant versé est inférieur au salaire perdu.
Ces lacunes touchent les femmes en général et les mères cheffes de famille en particulier, les indépendant·e·s, les travailleurs·euses aux bas salaires, précaires et au noir – donc les groupes de population avec les plus importants besoins de protection. Pour pallier très partiellement les lacunes des assurances, diverses aides et allocations peuvent être sollicitées – si la personne en a connaissance et qu’elle fait preuve d’une perspicacité sans faille – notamment l’aide sociale, mais encore d’innombrables subsides et contributions spécialisées (subsides assurance-maladie, allocation de logement, bourses, etc.) dont l’accès est laborieux et les montants très modestes.
Si ces lacunes sont connues, peu d’acteurs politiques ont tenté de les résoudre dans leur globalité. Le Réseau de réflexion y travaille depuis plus d’une décennie. Il a publié, l’an dernier, un projet de réforme globale appelée Assurance générale de revenu (AGR). Le modèle simplifie, unifie et élargit les prestations.
Pour le Réseau de réflexion, la sécurité économique en cas de perte de revenu est essentielle pour réduire les attitudes xénophobes et pour permettre la participation démocratique.
En quoi consiste cette Assurance générale de revenu?
Le modèle consiste en deux branches: une assurance unique de perte de gain jusqu’à l’âge de la retraite et des prestations complémentaires (PC) pour toutes et tous. Il n’englobe pas la couverture de la vieillesse.
Le modèle est très simple : il part des institutions existantes et les fusionne. La nouvelle assurance issue de cette fusion sera une assurance unique et obligatoire. Elle sera indépendante de la cause de la perte de revenu et du statut des personnes. Ainsi, que le salaire manque pour cause de chômage, d’accident, de maternité ou de service civil, la personne touchera une même prestation équivalente à 100% du salaire perdu, ceci tant que le revenu fait défaut. Une même prestation couvrira tous les statuts, que la personne soit salariée, indépendante, avec ou sans titre de séjour. Ce sera un traitement bien plus égalitaire qu’aujourd’hui.
Il se peut que cette prestation d’assurance ne couvre pas les besoins vitaux, notamment pour les temps partiels, les bas salaires et des familles nombreuses. Dans ces situations, le modèle propose d’élargir les prestations complémentaires (PC) réservées aujourd’hui aux rentiers et rentières AVS-AI. Elles seront identiques partout en Suisse. C’est donc une deuxième fusion proposée entre l’aide sociale actuelle et les innombrables autres allocations spécialisées et disparates (subsides assurance-maladie, bourses, allocation de rentrée scolaire, etc.).
Aujourd’hui, l’accès à de telles aides est bureaucratique, les conditions sont souvent opaques et différentes dans chaque canton ou commune, la gestion en est coûteuse et les prestations extrêmement modestes. Le modèle y remédie avec une prestation unifiée et bien plus élevée qu’aujourd’hui: elle passera pour les besoins de base à 1675 francs par mois, tandis que l’aide sociale est à 1031 francs.
En plus des prestations financières, le modèle préconise un soutien personnel ou une orientation professionnelle, offerts sur une base purement volontaire par un service unifié, contrairement à la pratique actuelle où chaque institution recommence avec un « accompagnement » obligatoire sous peine de sanctions.
Quelles sont les limites du modèle ?
Le modèle ne résout pas tous les problèmes sociaux, bien entendu.
Pour mettre les personnes à l’abri du besoin, d’autres mesures de politiques publiques sont nécessaires, notamment un salaire minimum, une politique du logement, une fiscalité plus équitable, des coûts de la santé supportables, l’accès à la formation ou encore la correction de l’inégale répartition du travail non rémunéré notamment dans la famille. Néanmoins, le modèle du Réseau de réflexion est pertinent. Il est ambitieux et réalisable à la fois. Avec ses propositions minutieuses et chiffrées, il cherche à stimuler le débat et à baliser des interventions politiques concrètes.
Propos recueillis par Donna Golaz