Un nouveau champignon éditorial en Suisse romande
Dans un atelier de sérigraphie à Renens vient de naître La Veilleuse, une maison d’édition issue de la rencontre entre deux éditeur·ices passionné·es : Florence Schluchter-Robins et Arthur Billerey. Entretien.
Pourquoi avoir lancé votre propre maison d’édition ?
F J’avais envie de créer une structure où l’essentiel du travail se concentre sur l’accompagnement des textes. Avec Arthur, nous partageons la même manière d’envisager l’édition. Nous voulons publier des projets qui nous tiennent à cœur, sans compromis au niveau éthique. Notre autonomie nous est précieuse.
Arthur a un master en édition à Grenoble et a travaillé dans plusieurs maisons d’édition, et moi je suis libraire de formation et j’ai été éditrice aux Éditions l’Age d’Homme, puis quelques temps aux Éditions d’En Bas.
Nous avons les deux été confronté·es par le passé à des structures archaïques et à des comportements sexistes dans le milieu de l’édition et c’est aussi pour cela que nous avons eu la volonté de créer notre propre maison, respectueuse de toutes les personnes avec qui nous travaillons.
Qu’est-ce qui fait de vous une maison d’édition engagée ?
F Je suis une personne engagée et c’est important pour moi de pouvoir utiliser cette plateforme pour sensibiliser les gens sur des questions qui me tiennent à cœur. Nous n’avons pas envie de publier de textes trop à charge. Nous essayons de faire passer un message de manière un peu douce, avec subtilité et poésie. Nous voulons faire découvrir ces questions par la lecture, en éveillant à la réflexion sans l’imposer.
A Nous ne nous définissons pas comme une maison d’édition politique mais tout simplement responsable. Notre engagement va avec l’époque, dans une perspective écoresponsable, décoloniale et féministe. Avec la collection « Nuit blanche », nous collaborons avec des illustratrices suisses. Nous voulons respecter tou·te·s les acteur·ices de la chaîne du livre.
F Les personnes que nous mandatons sont rémunérées de la même manière. Nous sommes les deux seuls bénévoles pour le moment.
Cherchez-vous, avec La Veilleuse, un autre manière de collaborer, où chacun peut prendre des décisions ?
A Nous additionnons les subjectivités pour travailler ensemble. Nous restons les décideurs·euses mais le comité de lecture (composé de 9 lecteur·ices externes) peut nous faire des propositions.
F Toute la gestion nous incombe mais c’est important pour nous de montrer que c’est un travail d’équipe. Notre vision est plus communautaire.
Vous ne publiez que 15 livres par an. Est-ce par volonté de ne pas surcharger la production ?
A Nous ne sommes pas dans une idée d’abondance. Nous voulons publier moins et publier mieux. Si demain, nous devenons 4 ou 5 éditeur·ices chez La Veilleuse, nous n’allons pas pour autant publier plus.
Pouvez-vous nous parler plus en détail de vos parutions récentes ?
F Mon coup de cœur de l’année 2023 est Le cambrioleur. C’est un ouvrage qui vient de paraître et qui est illustré à l’encre de Chine par le poète anarchiste Gé du Jeudi. C’est l’histoire d’un homme qui vit isolé dans son appartement, et au fil du temps une présence s’immisce chez lui, et le questionne sur son rapport à l’autre, à la solitude du processus d’écriture. On découvre en filigrane une critique assez virulente du capitalisme.
A Nous allons bientôt sortir le recueil de poésie d’Eva Marzi, Hippocampe. Elle s’est intéressée au parcours migratoire d’un jeune tunisien. C’est une rencontre humaine qui a été développée par la poésie. Il y a toute une question du souvenir, et d’utiliser la poésie pour se souvenir.
Comment voyez-vous l’avenir de l’édition en Suisse romande ?
A La plupart des structures en Suisse romande sont vieillissantes. Ces maisons d’édition ont été créées dans les années 70-80. Nous faisons partie de ces nouveaux champignons éditoriaux, comme Paulette éditrice. C’est une question de génération et de vision. Nous mettons en avant le travail collaboratif par rapport à hier où une personnalité forte et influente prenait toutes les décisions.
Aujourd’hui, il ne suffit pas d’un article pour vendre. Il faut des podcasts, les réseaux sociaux, pour essayer de vivre avec notre époque en se posant les bonnes questions. Il faut aussi repenser la question sociale de la lecture : comment on lit aujourd’hui et comment on pourra continuer à lire demain ? Comment faire durer la vie d’un livre ?
Propos recueillis par Iuna Allioux