Paulette éditrice, la maison d’édition militante proche de chez vous !

La maison d’édition suisse romande vient de publier ses deux premiers romans, Immaculée prostitution de Frédéric de Meyer et Un été à M. de Robin Corminbœuf. Rencontre avec les éditeurices Noémi Schaub et Guy Chevalley.

Noémi Schaub et Guy Chevalley, éditrices de Paulette éditrice
Noémi Schaub et Guy Chevalley, éditeurices de Paulette

Est-ce que vous pourriez-vous présenter ? 

Noémi : Guy Chevalley a fait des études en Histoire de l’art et en socio-économie. Il est lauréat du prix du jeune écrivain 2009. Il a publié 2 romans, le premier qui s’appelle cellulose, qui est sorti en 2015. Le second s’appelle «de fiel et de fleur». Il est également membre fondateur du collectif AJAR.

Guy : Noémi Schaub a fait des études de lettres, elle fait également plein de d’activités dans l’édition, la rédaction et notamment elle est coach littéraire. On s’est rencontré au prix du jeune écrivain en 2008. On a fait partie du même collectif d’auteurices AJAR et on a repris Paulette en 2015.

D’où vient le projet de Paulette ? 

Noémi Schaub : Paulette éditrice a été créée en 2009 par l’auteur Sébastien Meier, un ami à nous. Plus tard, l’idée a germé entre Guy et moi d’avoir une maison d’édition, mais il y en a déjà tellement en Suisse romande qu’on s’est demandé pourquoi en rajouter. C’est là que Sébastien nous a dit : « Reprenez Paulette ! » Du coup, en 2015, on a repris le nom, mais on n’a pas gardé le catalogue. 

Comment ça se passe l’édition indépendante en 2023 ? 

N 4 mots : mal, mais on continue.

Guy Chevalley : C’est une économie de la survie, c’est sûr. Noémi et moi, on n’a pas de salaire. Il faut aller chercher des fonds, des subventions, attendre les retours sur investissement des projets antérieurs pour savoir si les nouveaux sont faisables.

N Et puis quand on fait des demandes de subventions, les organismes, que ce soit l’État ou des fondations privées, veulent bien soutenir le travail de l’auteurice, le graphisme, la communication, la médiation culturelle. Ça, c’est des termes qu’iels aiment bien soutenir. Mais c’est vrai que les heures de manutention, les envois, les réunions pour maintenir les choses à flot, toutes ces choses-là, c’est très difficile de les justifier auprès des subventionnaires.

Comment est-ce que vous percevez le côté militant, politique de l’édition et de Paulette plus spécifiquement ?

G Ça passe par le questionnement, autant de notre part que de celle de l’auteurice : d’où on parle, qu’est-ce qu’on dit, pourquoi on le dit et qu’est-ce qu’on induit avec ce discours-là ? Il y a beaucoup d’impensé dans l’écriture, une partie de notre travail en tant que maison d’édition, c’est que l’auteurice, le cas échéant, prenne conscience de cet impensé et apporte des réponses ou trouve d’autres solutions qui permettront d’éviter la reproduction de clichés. 

L’enjeu, ce n’est pas seulement que des livres existent, parce que sinon on pourrait bien prendre le premier texte LGBTQIA+ venu et dire : « Go à l’imprimerie. » Ce n’est pas une condition suffisante en soi. Il faut qu’il y ait un travail, il faut qu’il y ait un regard et puis parfois ce n’est pas parce qu’on fait partie d’une communauté qu’on est bien renseigné·e ou lucide sur tous les sujets. 

Quel rôle ont vos livres auprès des lecteurices ? 

G L’un des objectifs de la collection, ce n’est pas seulement d’offrir un porte-voix à des auteurices, c’est aussi d’offrir des lectures à un lectorat qui, souvent, est en mal de représentation. Il y a quelque chose de très émouvant, de l’ordre de l’empowerment, d’être là-dedans. 

C’est l’une des choses qui me motivent à continuer, même quand il n’y a pas de salaire, même quand il y a de l’adversité. On sent justement que certains ouvrages viennent jouer un rôle ; pas forcément de prise de conscience politique, parce que, souvent, les personnes ont quand même déjà une conscience politique qui les amène vers nous. Mais plutôt un rôle de réconfort et un espace de création dans lequel évoluer. 

N On a aussi été dans des associations LGBTQIA+, pour rencontrer les membres et leur lire des textes. On voit que ce sont des personnes qui, à juste titre, peuvent se méfier de la production littéraire actuelle. Il y a un travail à faire, reconnaître qu’on n’est pas parfait·e et qu’on ne prétend pas le devenir. Le but, c’est aussi d’ouvrir et d’encourager ces personnes à envoyer un manuscrit alors qu’elles n’auraient jamais osé le faire avant. 

Paulette éditrice vient de vernir ses deux premiers romans, est-ce que vous pouvez nous les décrire ?

G Immaculée prostitution de Frédéric de Meyer est un livre qui lie sexualité et spiritualité, qui montre que dans les deux, il y a des rituels, une quête. Qu’on peut entrer en communion avec des gens. Les ressemblances sont assez frappantes. L’auteur avance ses billes avec une écriture qui est très particulière, très tranchante, mais en même temps toujours très juste. Il n’y a pas de crudité gratuite, pas de vulgarité. Le but n’est pas de blasphémer pour le plaisir. Au contraire, c’est de dire qu’on peut être lancé·e dans une forme de quête mystique qui passe par la chair.  

Un été à M. de Robin Corminboeuf, c’est le roman d’un premier amour dans la campagne suisse autour de l’an 2000, aux débuts d’internet, dans la période où on commence à chatter sur des forums en ligne. Le narrateur, adolescent, fait la rencontre d’un garçon qui se transforme en flirt clandestin, puisque le garçon en question ne se voit pas du tout assumer ses attirances au grand jour. C’est un texte très doux qui montre comment on s’invente ses propres marges à l’intérieur d’un cadre contraint, sa propre bulle de liberté. C’est le dernier été d’adolescence d’une personne qui va accéder ensuite à une autre étape de sa vie.

Comment est-ce que vous pourriez nous décrire votre catalogue ?

G : Engagé ! ça paraît un peu bateau de dire ça, mais c’est vrai que les pives, c’était une collection basée sur le format, donc des histoires relativement courtes, mais il y avait quand même une attention aux représentations, au contenu, aux idées qui étaient véhiculées, à la manière dont les auteurices écrivaient. Et puis après, quand on est arrivés avec la collection « Grattaculs » c’était encore plus encore plus évident qu’on était dans une démarche activiste. On a ce souci d’inclure différentes identités. On a par exemple lancé un appel aux écritures lesbiennes l’année dernière exprès parce qu’on ne recevait pas suffisamment de textes étiquetés lesbiens et qu’on ne voulait pas que la collection commence à grandir tout en ayant cette espèce de point négatif à l’intérieur de n’avoir pas fait les démarches pour aller chercher ces autrices.

Quels projets avez-vous pour la suite ? 

N : L’année prochaine on va sortir Goudous, où êtes-vous ? qui sera le résultat d’un appel à texte qu’on a mené. On a reçu 175 textes, on en a sélectionné 28 qui sont en cours de travail en ce moment. On a une assez grande diversité d’approches et de sujets, donc certains des textes sont drôles, très joyeux, lumineux mais également des textes beaucoup plus sombres qui parlent par exemple de lutte des classes, de l’expérience d’être une femme trans lesbienne, d’être une femme noire lesbienne. On a sélectionné tous les textes avant tout pour leur qualité littéraire. Et donc ça va sortir au printemps prochain.

G : Ce sera vraiment l’année des lesbiennes chez nous ! Il y a aussi un roman matrimonial, enfin en termes de matrimoine, traduit de l’allemand. C’est une chance d’avoir ce texte parce qu’il a failli disparaître. Il est réapparu miraculeusement il y a quelques années, alors qu’il datait des années 50. On va publier la version française et en gros il aborde la question : c’est quoi la vie d’une lesbienne à Zurich dans les années 50 ?

Propos recueillis par Clément Bindschaedler