État espagnol
Grève générale féministe pour les soins: un fait historique
Le 30 novembre, la première grève générale féministe pour «le droit collectif aux soins» a eu lieu au Pays Basque. 125 manifestations organisées par plus de 1500 comités qui se sont joints à la grève, soutenue par presque tous les syndicats basques.
Durant ces derniers mois, le mouvement féministe et différents agents sociaux, syndicaux et politiques d’Euskal Herria (Pays basque) ont travaillé pour mettre à l’agenda politique la crise des soins et la revendication d’un système publique et communautaire de soins.
Le féminisme a réussi à mettre la question des soins au centre de l’agenda politique du Pays basque. Ces dernières années, le mouvement féministe autonome basque, qui n’est associé avec aucun parti, syndicat ou autre organisation, a réussi à marquer l’agenda et à politiser pratiquement tous les thèmes touchant les femmes, ceux qui avaient été confinés au cadre privé.
Sur le thème des soins, on a commencé à créer une coordination, dénommée Denon Bizitzak Erdigunean (la vie de toutes au centre) durant les mois de pandémie. On a commencé à politiser et à questionner la division entre travail productif et reproductif et la manière injuste dont sont répartis les travaux des soins: majoritairement féminisés, ils sont invisibilisés, précarisés, sans aucune reconnaissance sociale.
En grande partie, on répond aux besoins des soins dans le cadre familial. La société assigne aux femmes un travail que nous devons faire gratuitement et «par amour». Et dans la sphère publique, les services de soins vivent un processus de privatisation brutale par les institutions publiques (ces services sont formellement publics, mais gérés par des entreprises privées): cela entraîne une précarisation des conditions de travail.
Vu la nécessité de mettre cette crise comme priorité de l’agenda politique, on a convoqué pour la première fois en Euskal Herria une grève générale féministe le 30 novembre 2023. Elle était dirigée par le mouvement féministe, mais avec l’adhésion de différents mouvements comme ceux des retraité·e·s et des jeunes d’Euskal Herria, ainsi que de la majorité des syndicats basques : ELA (Solidarité des ouvriers basques), LAB (Commissions ouvrières patriotes), Steilas (syndicat des travailleurs de l’éducation), ESK Syndicatua, Confédération générale du travail, Confédération nationale du travail, EHNE (Union des agriculteurs et éleveurs basques), ETXALDE et HIRU.
Pourquoi la grève?
La grève consiste à arrêter le travail et non à travailler, mais cette grève est plus complexe que cela. Sa base, c’est l’organisation, l’action, la politisation, l’interpellation et les relations. Ce fut un point d’inflexion de ce processus, mais pas un objectif en soi.
Nous n’avons pas toutes le droit de faire grève. Certains travaux ne peuvent être interrompus. C’est pourquoi, bien que nous convoquons aussi une grève des soins, nous savions qu’un arrêt total n’était pas possible. Nous avons voulu utiliser la potentialité de cette «contradiction»: visibiliser la nécessité des soins et rendre visible qui et dans quelles conditions on soigne.
Pourquoi féministe?
La grève féministe est radicale. Nous dénonçons le sytème patriarcal, hétéropatriarcal, colonialiste et raciste. Nous avons interpellé et signalé les responsables de la privatisation : le patronat et les institutions. Nous avons utilisé ce processus pour établir des alliances entre les travailleuses du secteur des soins et le mouvement féministe. Parce qu’en politisant les soignantes, nous politiserons la société.
Pourquoi générale?
Nous étions claires sur le fait que la lutte pour le droit des soins incombe à toute la société, nous parlons des vies de toutes et de tous. Les femmes et les hommes sont appelé·e·s à la grève.
Nous allons toutes devoir être soignées à un moment de notre vie. La reconnaissance et la réorganisation des tâches de soin exigent nécessairement que les hommes, coresponsables, jouent aussi un autre rôle. Toutes les personnes doivent se responsabiliser pour générer des changements.
Avant la journée de grève, nous savions déjà que celle-ci allait être historique: c’est la première fois en Euskal Herria qu’une grève générale féministe est convoquée, dirigée par le mouvement féministe. Mais en créant des alliances entre différents mouvements, on a créé différents espaces et de nouveaux instruments: des assemblées de grève pour toutes les personnes qui voudraient organiser la grève, mais aussi des espaces non-mixtes pour les femmes, des décalogues sur le fonctionnement, ainsi que d’autres imaginaires et manières de faire.
Le sujet de la lutte a surgi du processus lui-même. En sachant que la gestion de la diversité a été – comme toujours – conflictuelle, mais nous avons revisé en permanence les positions d’oppresseur et d’opprimé pour définir la participation et la place de chacune.
Selon l’évaluation du mouvement féministe, nous pouvons affirmer que la grève générale féministe a été historique et que le mouvement féministe a rempli ses objectifs: l’organisation des travailleuses du secteur des soins a été renforcée et élargie, on a visibilisé et politisé les travaux non rémunérés qu’effectuent les femmes comme travailleuses sans droits.
La collaboration entre le syndicalisme féministe et le mouvement féministe s’est intensifiée, et des exigences très concrètes de négociation ont été présentées aux interlocuteurs économiques, politiques et sociaux pour faire aboutir un «accord social» décidé durant le processus de la grève.
Maddi Isasi Azkarraga
Traduction du castillan : Hans-Peter Renk