Une autre école est possible: un livre de Samuel Joshua

Une autre école est possible: un livre de Samuel Joshua

Samuel Joshua, professeur en Sciences de l’éducation à l’Université de Provence, vient de publier un Manifeste pour une éducation émancipatrice sous le titre: Une autre école est possible, Paris, Textuel, 2003. Sa lecture permet de mieux comprendre le débat entre Dario Lopreno (solidaritéS n° 42) et celles/ceux qui, à gauche, s’identifient aux positions de l’association ARLE (Association Refaire l’Ecole, Genève) (voir ci-contre). Nous ne pouvons que recommander la lecture de ce petit livre.

En France, depuis le milieu des années 90, on observe une «stagnation du nombre des bacheliers, la fin de la progression du niveau moyen des connaissances (et l’augmentation des difficultés pour les plus faibles), l’augmentation des tensions, voire de la violence, entre les élèves, et contre l’institution et ses représentants» (p. 9). Pourtant, les «difficultés scolaires» actuelles ne renvoient pas, comme l’affirme Luc Ferry, à la «malédiction ‘individualiste’ datant de Mai 1968». En réalité, elles ne sont pas intelligibles sans la prise en compte de la massification de l’enseignement secondaire et de l’effondrement de l’Etat Providence.

Face à ces évolutions, la gauche a nourri deux attitudes antagonistes, qui conduisent aujourd’hui à des impasses symétriques. D’un côté, un secteur estimait que «les inégalités de classe pouvaient être surmontées par une extension continue de la scolarisation. Une école méritocratique, neutre socialement par nature, traitant également les citoyens égaux, serait à même de produire une progression sociale sans discontinuité (…) Cette stratégie a été durement mise à mal par les mouvements de jeunesse autour de Mai 68, quand, justement, les ressorts de classe de cette école apparemment égalitaire furent dénoncés». Elle s’est brisée sur le mur des contre-réformes néolibérales.

Une autre fraction de la gauche a «gardé une solide méfiance pour l’école et ses professeurs», tout en se convainquant que «le capitalisme était un horizon indépassable (…) de la nature humaine». Mais pour elle, «la démocratie va inévitablement de pair avec l’individualisme et les inégalités» Là encore, «c’est la violence de la globalisation capitaliste qui a fait exploser la timide coloration progressiste de ces orientations. Coupés d’une perspective socialement transformatrice, tous les thèmes de cette ‘deuxième gauche’ (individualisation, autonomie, réseaux, projets, critique des savoirs pesants et formels au profit de la formation des ‘compétences’) se sont révélés d’excellentes voies de pénétration des offensives néolibérales» (pp. 13-15).

Ce manifeste «reprend et précise les critiques contre les hypocrisies de cette ‘école républicaine’ farouchement élitiste, incapable de relever les défis contemporains d’une éducation de masse». De ce point de vue, «le déferlement des thèmes conservateurs, sur la substitution du répressif à l’éducatif, sur le ‘retour de la tradition’, sur l’éducation comme ‘transmission de l’autorité’, la fascination envers un passé mythifié, sont d’évidence incompatibles avec une éducation émancipatrice» (p. 122). En même temps, il «rejette systématiquement une certaine position ‘postmoderne’, fascinée par l’émiettement généralisé, qui n’hésite pas à faire d’une donnée de fait (la déchirure du corps social, la concurrence et les inégalités en son sein) une valeur symbolique positive» (p. 19).

Samuel Joshua montre aussi que l’offensive des milieux dominants ne saurait se réduire à la privatisation de l’école, que les secteurs éclairés du capitalisme ne préconisent pas pour la formation de base. Il rappelle que l’école est «un champ de lutte entre les classes» et que le mouvement socialiste a toujours été partagé entre une méfiance légitime pour l’institution scolaire et un appel au renforcement de l’école pour toutes et tous. Ainsi, les trois questions essentielles – «qui est scolarisé?», «qu’enseigne-t-on?» et «comment enseigne-t-on?» – demeurent des enjeux éminemment politiques (p. 67).

Rédaction