Yémen

Justice internationale à Bab al-Mandeb?

Depuis le 19 octobre, le mouvement yéménite Ansar Allah – connu sous le nom des houthistes – a lancé plusieurs missiles vers le port israélien d’Eilat, puis des dizaines d’attaques contre des navires marchands naviguant en mer Rouge via le détroit de Bab al-Mandeb. Que recherchent les houthistes avec ces attaques, et quelle est l’efficacité de leurs frappes pour arrêter le génocide israélien ?

Manifestation contre les frappes occidentales au Yémen
Manifestation en soutien au peuple palestinien et contre les frappes occidentales contre le Yemen. Sanaa, 29 janvier 2024. Au centre, le portrait d’Abdel Malik al-Houthi. Des millions de personnes défilent tous les vendredis dans le pays.

Les imams du clan des Sada (élite des descendants du prophète) ont dirigé des parties du Yémen à partir du 9e siècle avant d’être renversés par des officiers républicains en 1962. Dans le sud, le protectorat britannique (1839-1967) a été remplacé par une république pro-soviétique. En 1990, les deux parties du Yémen se sont unies.

Qui sont les houthistes?

Le mouvement a été fondé en 1992 dans l’extrême-nord montagneux du pays en tant que mouvement religieux contre le gouvernement central. Parlementaire depuis 1993, Hussein al-Houthi a commencé à promouvoir la croyance de l’époque pré-1962 de l’imamat, selon laquelle les Sada avaient un droit inné au pouvoir. Les disciples d’al-Houthi ont également critiqué le gouvernement de l’autocrate Saleh pour la corruption et ses liens trop étroits avec les États-Unis et Israël. 

Le mouvement, se présentant comme luttant pour la justice sociale et pour les montagnards, est entré en 2004 dans une série de confrontations armées avec le gouvernement après la tentative d’arrestation d’al-Houthi et son assassinat peu après. Vers 2009, les houthistes deviennent partenaires de Téhéran.

En 2011, le successeur et le frère de Hussein, Abdel Malik, rejoint les soulèvements arabes. Il profite du vide du pouvoir pour s’emparer de la capitale, Sanaa, en 2014.

Bien que les houthistes déclarent privilégier la république et ne pas chercher à faire revivre l’imamat, au cours des dix dernières années de leur règne, les Sada ont acquis une position privilégiée dans les postes politiques et militaires. Les houthistes dirigent les deux tiers de la population du Yémen avec une emprise serrée, écrasant toute opposition à la racine.

Pourquoi leurs attaques se poursuivent-elles ?

Depuis 2015, Ansar Allah attaque les navires marchands et ceux de la coalition saoudienne ennemie. Ansar Allah, dont l’idéologie est centrée sur la lutte contre l’impérialisme occidental et la libération de Jérusalem (en alliance avec l’impérialisme iranien), rêve depuis des années d’une confrontation avec les États-Unis et Israël.

Sous prétexte d’une guerre avec l’entité sioniste, l’escalade a déjà permis de recruter entre 20 et 45 000 combattants, une augmentation des forces nécessaire à leur guerre interne avec le gouvernement officiel. 

Les frappes de représailles contre le pays par la coalition ­britannco-étasunienne ont contribué à la légitimité des houthistes à l’intérieur. La confrontation avec un ennemi extérieur rapproche les Yéménites et les éloigne des problèmes internes tels que le désastre humanitaire en cours. 

En l’absence de mesures tangibles par des dirigeants arabes pour mettre fin au génocide israélien à Gaza, les frappes des houthistes sont incroyablement populaires auprès des Yéménites comme dans le monde arabe, et même les ennemis domestiques des houthistes soutiennent leurs frappes. En outre, les attaques affaiblissent l’économie saoudienne, perturbent davantage la stabilité régionale et augmentent le poids des houthistes dans les négociations de paix.

Les attaques nuisent-elles à l’économie israélienne ?

À la mi-décembre, le seul port israélien sur la mer Rouge, Eilat, a signalé une baisse de 85% de son activité depuis le début des attaques houthistes. Cependant la majeure partie du commerce israélien passe par la Méditerranée, de sorte que l’économie n’a pas encore été sérieusement affectée par les attaques venues du Yémen.

Or, depuis octobre, le commerce maritime israélien a subi des coûts qui ne sont pas directement liés aux attaques des houthistes. Ainsi, le port méditerranéen d’Ashdod, par lequel transite 40% du commerce maritime israélien, a souffert économiquement. Le plus grand port pétrolier d’Ashkelon a été fermé dès les premiers jours de la guerre.

À l’échelle globale, environ 15% du commerce mondial transite par la mer Rouge. Depuis les frappes des houthistes, le trafic dans la mer a chuté de plus de 40%, perturbant les chaînes d’approvisionnement mondiales. À la demande de Tel-Aviv, les États-Unis et la Grande-­Bretagne ont créé en décembre une coalition de 10 États sous prétexte de protéger la liberté de navigation maritime. Le 11 janvier, la coalition a commencé à mener des frappes aériennes au Yémen. Le 19 février, une mission de l’UE doit entrer en mer Rouge «à la demande de nombreuses entreprises européennes».

Stratégie de boycott

Il est peu probable que le blocus houthiste mette un terme au génocide sioniste. La stratégie de boycott de l’entité coloniale consiste à faire pression sur les endroits les plus vitaux pour Israël en termes économiques, politiques, réputationnels. D’autant plus que la décision de la CIJ, selon laquelle Israël plausiblement commet un génocide, impose aux pays partenaires l’obligation légale de cesser toute coopération.

Nadia Badaoui