L’État, la révolution… ou le stalinisme?

Faut-il renvoyer le personnage de Lénine et son œuvre politique dans les poubelles de l’histoire? Ou mérite-t-il encore un intérêt dans une perspective révolutionnaire?

Lenine et des responsables bolcheviks lors du 2e anniversaire de la révolution d'Octobre 1917
Rassemblement de célébration du 2e anniversaire de la révolution d’octobre. Au centre : Lev Kamenev, Lenine et Léon Trotsky. Place Rouge, Moscou, 7 novembre 1919.

S’il fallait retenir une publication de Lénine pour son actualité, ce serait certainement l’ouvrage L’État et la révolution.

Rédigé au début de l’année 1917 mais publié après la révolution d’Octobre, il résume parfaitement le projet révolutionnaire initial proposé par Lénine. En le rédigeant, Lénine va aborder une des questions-clés de toute révolution. Par quoi remplacer l’ancien pouvoir, quelles seront les nouveaux organes de décision ?

Sa lecture peut servir à réinvestir un débat stratégique, loin d’un volontarisme abstrait («il faut faire la révolution») ou d’une résignation alimentée par la multitude d’échecs historiques et la détérioration des rapports de force de classe dans la plupart des pays ainsi qu’à l’échelle internationale. Il faudrait saisir ces propos comme une boussole pour l’action et la conquête du pouvoir dans une issue révolutionnaire, plutôt que comme une suite de recettes à réchauffer au micro-­ondes.

Communisme = pouvoir autoritaire?

Les détracteur·ices de la révolution russe, à gauche comme à droite, présentent fréquemment les orientations de Lénine comme étant à l’origine du stalinisme et de l’échec du projet révolutionnaire. Ces commentateurs n’ont jamais lu L’État et la révolution.

Le projet n’était absolument pas «un communisme de guerre» ni une dictature autoritaire. La question du pouvoir à renverser et du nouveau pouvoir s’appuient sur l’analyse de Marx après l’expérience de la Commune de Paris.

Pour Lénine, il ne s’agit pas d’occuper l’État bourgeois, car avec son caractère de classe, ses structures essentielles se consacrent à défendre la bourgeoisie et la propriété privée de l’économie. L’État représente la dictature de classe de la bourgeoisie et ses alliés. 

C’est d’ailleurs ce même rôle qu’il incarnait en Russie après la chute du tsar et la proclamation d’une république. La forme changeait, de nouvelles institutions et droits apparaissaient, mais le fond demeurait: défendre les industriels et les propriétaires terriens, continuer la guerre impérialiste.

Révolution = dictature ?

Détruire cet État signifie détruire le pouvoir politique des possédant·es. À la place, la révolution verra un nouveau pouvoir s’établir, celui des ouvrier·es et des paysan·nes, avec une autre forme politique, un État ouvrier, une nouvelle Commune, une nouvelle association. Par antithèse, ce nouvel État représente la dictature des nouvelles classes dominantes sur les anciennes. Car il s’agit d’une révolution, pas d’un remaniement ministériel ! Le terme « dictature du prolétariat » ne décrit pas la forme du pouvoir, mais son fondement de classe.

Les « démocrates » s’insurgent. Parler de dictature ne peut que conduire au totalitarisme. Admettons que le terme ne soit plus pertinent. Nous pouvons le remplacer par d’autres, «commune», «ZAD»… Ce qui importe c’est le pouvoir qu’il décrit. Ce n’est pas un pacte de collaboration de classe, ni une alliance institutionnelle inter-classiste. C’est le dépouillement du pouvoir politique et économique de la bourgeoisie et de ses allié·es petit·es-bourgeois·es.

Une fois cette mise au point stratégique décrite, il faut examiner d’autres critiques. Tout projet révolutionnaire porte-il le germe de l’intolérance autoritaire? La répression n’est-elle pas favorisée, même dans le camp révolutionnaire ?

La responsabilité de la contre-révolution

Toute révolution prolétarienne a vu se lever une violence destructrice de la part des anciennes classes dominantes, pour rétablir l’ordre antérieur. Cette réaction n’avait pas de limites, le prix en destructions et en morts importait peu. 

La guerre civile déclenchée par les ex-généraux tsaristes, et puissamment soutenue par les pays impérialistes «démocrates» en termes matériels et financiers, va empêcher la jeune révolution de pouvoir construire son projet initial en faveur des opprimé·es.

Pour défendre la révolution, une situation de guerre dramatique va s’installer durant quatre terribles années. Le «communisme de guerre» n’était rien d’autre qu’une économie de survie. Les restrictions, la famine, la violence, voilà ce qui restait à partager, le pays héritant en plus des destructions de trois années précédentes de guerre impérialiste. Ce n’était pas exactement le cadre souhaité pour construire une nouvelle société. La responsabilité des forces contre-révolutionnaires est écrasante dans l’émergence des racines du stalinisme.

Lénine pensait que rapidement, la révolution s’étendrait à d’autres pays européens, soulageant du poids de la contre-révolution, et élargissant les capacités du camp révolutionnaire. Il ne pouvait prévoir que les défaites, en particulier en Allemagne, des forces communistes allaient isoler les Républiques soviétiques, et s’ajouter aux conséquences de la guerre civile. Le drame allait continuer.

José Sanchez