Le lourd héritage du patriarcat
Passé sous les radars du grand public, Le Successeur, le deuxième film de Xavier Legrand, utilise de manière redoutable le thriller noir pour parler de la violence des hommes et sa perpétuation.
Le 21 février dernier est sorti le deuxième film du réalisateur français Xavier Legrand, qui s’est fait connaître en 2017 avec son premier long métrage Jusqu’à la garde. Un premier film brillant, traitant avec une incroyable maîtrise des questions des violences conjugales et de la violence masculine au sein de nos sociétés. Un film porté par un véritable succès populaire, ramenant près de 400000 personnes dans les salles obscures, mais aussi critique, avec un encensement unanime.
Les critiques notant le minutieux travail du cinéaste qui a traité avec justesse, dans ce brillant premier film, les différentes thématiques dans son œuvre, ce qui lui vaudra un lion d’argent à Venise et cinq Césars, dont celui du meilleur film.
Il est donc tout naturel que ce deuxième long métrage, Le Successeur, ait été attendu de pied ferme par de nombreux·euses cinéphiles. D’autant plus que ce film a été présenté par Xavier Legrand comme la deuxième partie d’une trilogie centrée sur les thématiques du patriarcat. Le Successeur est-il la confirmation de ce cinéaste politique? On peut dire que le pari a été tenu.
Lourd héritage
Le Successeur est une tragédie sombre racontant l’histoire d’Ellias, jeune créateur de mode fraîchement nommé directeur artistique d’une célèbre maison de Haute Couture française. Dans cette période charnière de sa vie, celui-ci apprend la mort de son paternel qu’il n’a pas vu depuis plus de 20 ans. Ellias se voit contraint de retourner dans son Québec natal pour régler la succession. Il va découvrir, à ses dépens, qu’il a hérité d’un bien lourd fardeau.
La première chose à mettre en avant dans Le Successeur, est l’excellent travail de construction d’ambiance et de réalisation de Xavier Legrand. Dans ce drame teinté de tragédie œdipienne, le réalisateur nous plonge dans une ambiance glauque d’une noirceur folle. On tombe véritablement dans la spirale infernale du personnage d’Ellias, qui va découvrir l’envers du décor de la vie de son paternel, le tout dans une mise en scène surfant régulièrement avec le cinéma de genre.
Le réalisateur lui-même définit son film comme une œuvre de genre indéfinissable, hybride et polymorphe. Mélangeant au cœur de son récit les inspirations des films néo-noir, des contes d’épouvante et des thrillers anxiogènes. La quintessence de cet effroi se trouvant d’ailleurs dans un twist imprévisible et brutal au milieu du récit.
Violence masculine et transmission
Au-delà de sa forme réussie, son fond n’a pas à pâlir. En effet, le successeur creuse le sillon du patriarcat en traitant, comme dans Jusqu’à la garde, de la question des violences faites aux femmes, mais sous un angle différent. Legrand s’attaque dans Le Successeur frontalement à la source dont elles émanent: la violence des hommes. Comme le dit Xavier Legrand: «Aujourd’hui, on détecte aisément que le patriarcat est un régime qui soumet les femmes, les enfants, mais ce qui nous est moins évident, moins avouable, par son aspect transmissible et transgénérationnel, c’est qu’il écrase également les hommes, les frères, les fils.»
Tout le but du film est de montrer comment l’héritage du père d’Ellias, par sa transmission à son fils après sa mort, va détruire la vie de ce dernier. C’est lors d’une scène dans la cave de la maison paternelle que le·a spectateur·ice découvre de manière concrète la violence et la cruauté à son état brut. Une brutalité qu’Ellias ne veut pas reproduire mais qu’il répliquera par un mauvais choix, commettant les mêmes crimes et violences de son père.
C’est dans cette inéluctabilité de la passation de violence du père au fils qu’Ellias sera complètement détruit. Ce qui amène, en fin de film, une scène d’enterrement, où le réalisateur nous montre comment cette violence patriarcale brise et fait s’écrouler le personnage principal, poussant ce dernier vers une fin dramatique.
En bref, avec Le Successeur, Xavier Legrand approfondit encore plus les thématiques de domination masculine et de violence du système patriarcal, le tout en utilisant, avec maîtrise, le médium cinématographique et en mélangeant différents genres. Une posture et une vision bien trop rares, qui méritent d’être mises en avant – au même niveau que des auteur·es comme Julia Ducournau ou Monia Chokri – faisant, au sein du cinéma français, bouger les lignes sur ces thématiques.
Luca Califano