Réveil de la population face aux géants du béton
En prenant ses quartiers dans le pied du Jura vaudois, le collectif d’écologie radicale Grondements des Terres a généré un sursaut populaire. En jeu, la question de la participation des populations aux décisions concernant leur environnement la question de l’hégémonie du béton dans la construction.
Cela fait plus de trente ans que les autorités cantonales vaudoises, la multinationale du ciment Holcim et le groupe actif dans l’immobilier et la construction Orllati lorgnent sur la forêt du Sépey au cœur du Pied du Jura.
Dans le sous-sol de ce bois, ce qui s’apparente à une véritable mine d’or. Sur plus de 90 hectares, 18,5 millions de mètres cubes de sable pourraient être extraits. Ce gisement est le plus important du canton et son exploitation pourrait rapporter plus d’un milliard de francs suisses à l’entreprise qui remportera le contrat. Une énorme manne financière dont les collectivités locales ne bénéficieraient presque pas, dans une région où les gravières poussent comme des champignons.
Alors que le Grand Conseil discutera l’année prochaine du nouveau plan directeur des carrières pour la décennie 2025-2034, tout indique que la forêt du Sépey y figurera. Il faut dire que le temps presse pour les autorités: les gisements actuellement exploités s’épuisent à coups de pelleteuses et les industriels du secteur restent convaincus qu’ils ne peuvent se passer de béton.
Pourtant, les alternatives biogéosourcées au béton sont nombreuses. À Allaman par exemple, une entreprise s’est spécialisée dans la fabrication de briques à base de terres d’excavation des chantiers. Le bois, le chanvre ou la paille constituent des matériaux adaptés à divers types de construction. En outre, la revalorisation du bâti inutilisé ou peu optimisé représente une manière concrète de répondre aux besoins tout en faisant preuve de sobriété.
Échanges village-forêt
C’est dans ce contexte aux enjeux multiples que les activistes du collectif Grondements des Terres ont commencé une occupation des bois de Ballens au petit matin du 15 juin 2024. Alertant la population sur l’imminence d’un danger qui semblait diffus. En discussion depuis si longtemps, personne au village ne croyait en sa réalisation. Une omerta largement alimentée par une Municipalité qui s’efforçait depuis des années de taire le sujet, d’éviter les questions de son conseil général et de vider de leur substance les institutions démocratiques du village.
Mettant un point d’honneur à créer un espace d’échange, d’information et de débat, les activistes sont, dès les premières heures de l’occupation, allé·es à la rencontre des ballensard·es. En quelques heures, une démarche participative naissait avec une première assemblée populaire.
L’image largement instrumentalisée de l’évacuation de la ZAD du Mormont en 2021 a pu susciter des craintes lors de la venue des activistes, mais la rencontre a permis de déconstruire les stéréotypes. Il ne fallut pas longtemps avant que des amitiés naissent et une alliance durable se crée entre les habitant·es de la région et les occupant·es de la forêt. Dès le second week-end, une petite centaine de personnes se regroupaient sur le camp pour écouter les conférences d’expert·es sur les alternatives au béton et sur les pertes du vivant induites par l’exploitation d’une carrière.
L’engagement populaire atteignait son apogée dans les dernières heures de l’occupation, lors d’une visite surprise du préfet du district de Morges, peu avant l’entrée en force de son ordre d’évacuation. Le fonctionnaire s’est ainsi retrouvé face à un front populaire solide où occupant·es et habitant·es ne faisaient plus qu’un pour la défense de la forêt. Cet engagement s’est prolongé dans les heures qui ont suivi lorsque, sous une pluie diluvienne – l’orage qui a noyé la ville de Morges en contrebas – l’évacuation s’opérait avec l’aide de tracteurs de sympathisant·es du camp venus prêter main forte aux activistes.
Briser le silence
Dans la foulée de l’évacuation du camp naissait l’Association pour la sauvegarde des bois de Ballens et environs, un collectif de plusieurs dizaines d’habitant·es prêt·es à reprendre le flambeau de la lutte.
Le dimanche suivant l’évacuation, plus de soixante personnes se rassemblaient à L’Embrasure, centre d’art et de culture de Ballens, pour la première assemblée générale de l’association. Si les Grondements des Terres n’ont été présent·es dans la région que deux petites semaines, ils sont parvenus à briser l’individualisme et le silence qui enserrait ce village depuis des décennies, unissant les habitant·es derrière une cause commune et permettant aux populations de reprendre la main sur des décisions qui concernent directement leurs environnements de vie.
Kelmy Martinez
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