Bangladesh
Un processus révolutionnaire en cours?
Le Bangladesh, l’un des pays plus densément peuplés au monde (170 millions d’habitant·es) a connu durant les deux derniers mois un soulèvement populaire d’une ampleur rarement égalée. Si ces mobilisations ont réussi à faire chuter la première ministre, rien ne garantit une autre politique avec le nouveau gouvernement intérimaire.
Les étudiant·es, rejoint·es par une grande partie de la société, ont organisé d’énormes manifestations contre la politique de la première ministre, Sheikh Hasina, critiquée depuis des années pour son autoritarisme et la corruption de son régime.
La restauration en juin par la Cours suprême du système des quotas d’embauche dans la fonction publique en fut l’élément déclencheur. Une décision jugée clientéliste et injuste par les étudiant·es, car favorisant à ces postes des personnes idéologiquement proches du parti dirigeant au détriment d’une sélection basée sur le mérite.
Un soulèvement populaire
Le 1er juillet 2024, l’Anti-discrimination Students Movement est créé. Apartisan, il a pour objectif de mettre fin à la réforme des quotas. D’ailleurs, les Bangladais n’en sont pas à leur coup d’essai. En octobre 2023 déjà, une grève de l’industrie textile, prolétariat majoritairement féminin (4,4 millions de travailleur·euses), avait secoué le pays dans le but d’obtenir une revalorisation salariale. Grève à laquelle le gouvernement donna une réponse violente, comme à son habitude.
Les étudiant·es, comme le reste du corps social, subissent la politique répressive et antisociale de ce gouvernement depuis 15 ans. Les évènements récents viennent cristalliser des besoins et attentes plus profonde de la société Bangladaise, déjà bousculée par l’inflation, la crise de l’emploi et la corruption. C’est pourquoi les manifestant·es finissent par demander la démission de Sheikh Hasina et le renvoi des autorités responsables des violences.
Organique, car présent dans tout le pays, un mouvement de «non-coopération» est enclenché. En plus de prendre la rue et d’affronter directement la police, des centaines de milliers de bangladais boycottent les institutions gouvernementales et cessent de payer taxes et impôts. Le 5 août, incapable de calmer la situation, l’autocrate première ministre est forcée de fuir après des manifestations sans précédents et le refus de l’armée de poursuivre la répression.
Muhammad Yunus et son gouvernement intérimaire
Le jeudi 8 août, Muhammad Yunus arrive au Bangladesh pour former un gouvernement intérimaire, avec comme principaux objectifs un retour à l’ordre, une démocratisation des institutions et l’organisation d’élections libres.
Yunus est un économiste prix Nobel de la paix en 2006, inventeur du micro-crédit et opposant au régime de Sheikh Hasina. On le surnomme le «banquier des pauvres», certaines études démontrent cependant que sa facilitation d’accès à l’emprunt est plutôt une incitation à l’endettement qu’une véritable aide.
Si Hasina est tombée, nombre de ses sympathisant·es occupent encore des postes influents. L’ancien gouverneur de la Banque du Bangladesh, ainsi que des représentants de l’armée, aux côtés de deux leaders étudiants et d’autres personnalités publiques, font ainsi partie de son gouvernement. Mais de qui Yunus défendra-t-il les intérêts?
Il se dit opposé à la concentration des richesses et veut mettre fin au chômage de masse, mais est-il prêt à négocier avec les grands patrons de l’industrie textile et répondre aux revendications des grévistes?
Ce soulèvement était une lutte pour plus de droits sociaux, pour la démocratie et contre la corruption. Mais cette lutte n’est pas terminée. Une alternative politique doit encore se dessiner et elle ne naîtra vraisemblablement pas entre les mains des classes dirigeantes.
Répression féroce sur les manifestants
Les premier·es à réagir aux mobilisations ont été les membres de la Chhatra league, branche étudiante de la ligue Awami, le parti au pouvoir. Dès les premiers jours, ils ont attaqué les manifestations et tenté de rompre la mobilisation. Durant tout le soulèvement, la réponse policière et paramilitaire a été ultra répressive: un couvre-feu a été déclaré à la mi-juillet, on a tiré à balles réelles sur les manifestations, internet a été coupé et les arrestations sommaires et tortures ont été légion. Au total, plus de 400 personnes sont mortes durant les semaines de mobilisation, en grande partie tuées par la police.
Pourtant, à ce jour, malgré la demande populaire, aucune réelle sanction n’a été prise pour punir les meurtriers et autres criminels aux yeux des droits humains. Dans cette phase de transition, l’armée continuera d’œuvrer pour ses intérêts, notamment dans le secteur privé, et tentera certainement d’influer sur la politique du pays sans clairement prendre parti.
L’auto-organisation populaire initiée par des comités à travers tout le pays se substituant à la police et les grèves du milieu ouvrier restent des gardes fous d’un régime qui pourrait facilement basculer à nouveau dans l’autoritarisme comme ce fut le cas en Égypte après la révolution de 2011 ou au Soudan en 2019.
Achille Zetnos