La gauche pro-Maduro abandonne le peuple à son sort
Après les élections du 28 juillet au résultat «difficile à croire» selon le président chilien Gabriel Boric, la gauche latino-américaine dans son ensemble, y compris toute la base du «progressisme», est profondément divisée.
Une frange de plus en plus réduite, mais toujours nombreuse et pleine d’intellectuel·les, reprend l’argument du Forum de São Paulo (1) selon lequel, pour sauver le Venezuela et la région de l’impérialisme étasunien, il est nécessaire de soutenir le gouvernement de Nicolás Maduro à n’importe quel prix. Ce coût, bien sûr, inclut la possibilité que, contrairement aux périodes précédentes, Maduro n’ait pas gagné les élections car, après tout, il a jusqu’à présent refusé de prouver sa victoire.
Campisme géopolitique
Selon cette logique, fondée davantage sur la géopolitique classique que sur le marxisme, non seulement tout est permis, mais est nécessaire pour ne pas livrer «le pouvoir vénézuélien (et le pétrole) à la droite». Selon cette logique géopolitique, que Nicolás Maduro gagne ou perde les élections est secondaire par rapport à l’impératif nationaliste «progressiste» d’empêcher l’impérialisme étasunien, incarné par le candidat de l’opposition Edmundo González, de s’emparer du palais de Miraflores et de mettre ainsi en péril la propriété étatique de PDVSA (Petróleos de Venezuela SA), propriétaire de l’une des plus grandes réserves de pétrole et de gaz de la planète. Une partie de ces néo-maduristes, il est vrai, est moins focalisée sur le pétrole que sur la tragédie que représente la reconnaissance de la défaite de Maduro, perçu comme un homme de gauche, dans un contexte de progression de l’extrême droite dans le monde et dans la région.
Pour tous, cependant, il n’y aurait pas d’autre issue que de s‘en tenir à Maduro. Pas même une négociation entre les deux parties du conflit vénézuélien, comme l’ont proposé Lula et Gustavo Petro, probablement pour rechercher un partage des pouvoirs entre les deux parties, avec une certaine garantie des libertés démocratiques et une certaine protection de l’intégrité de PDVSA.
Pour rappel, quelle est la ligne qui marque la différence entre la droite et la gauche: le discours ou l’action? Certes, Maduro maintient une grammaire discursive avec un verbiage de gauche. Il affirme que son gouvernement est une «alliance militaire-policière-populaire» anti-impérialiste et pro-socialiste. Il a besoin de se légitimer à l’intérieur et à l’extérieur en tant que successeur de Chávez, alors que tout ce qu’il a fait, c’est de réduire les réalisations et l’héritage des années de progrès du processus bolivarien.
Au-delà des apparences, la vérité est que sa politique depuis 2013 a été d’encourager l’enrichissement d’un nouveau secteur d’affaires dans le pays et, comme Bonaparte, de négocier entre les différentes factions de la bourgeoisie vénézuélienne, nouvelles et anciennes (à l’exception de la plus liée à l’ultra-droite yankee, à savoir María Corina Machado [candidate à la présidentielle dont la candidature a été interdite, ndlr] et Edmundo González) afin de rester au gouvernement.
Dans une trajectoire ouvertement autoritaire, Maduro a toujours favorisé les secteurs d’activité, en particulier les services de l’industrie pétrolière, largement distribués à la direction de ses forces armées et policières.
En fait, il n’a jamais cessé de favoriser divers secteurs d’activité, anciens et nouveaux, en particulier celui des services de l’industrie pétrolière, dont les dividendes alimentent la nouvelle bourgeoisie et dont une partie est distribuée à la direction de ses forces armées et policières. Plus de 800 voitures de luxe ont été saisies parmi la centaine de personnes impliquées dans la méga-corruption PDVSA-cripto mise au jour en 2023, ce qui n’est que le reflet de la dégradation du moral des dirigeants du gouvernement.
Même sous le feu nourri des sanctions étasuniennes contre le Venezuela – en place depuis l’administration Obama, passées par Trump et assouplies par Biden – Maduro n’a jamais pris de mesures pour affronter le système financier mondialisé et ses bailleurs de fonds nationaux. Il a alloué une part substantielle du budget national en baisse à des banques privées pour garantir la vente de devises étrangères à des entreprises privées et à des rentiers, ce qui devient une politique de subvention en faveur des riches.
En même temps (depuis le décret 2792 de 2018), il interdit les grèves, la présentation de revendications, le droit de la classe ouvrière à se mobiliser, l’organisation et la légalisation de nouveaux syndicats, tout en persécutant et en envoyant en prison les dirigeant·es syndicaux·ales qui remettent en cause les pratiques internes des entreprises, ou qui demandent simplement une augmentation de salaire ou une assurance maladie. Ce fut le cas à Siderurgica del Orinoco (Sidor), la plus grande organisation de prolétaires au Venezuela: après s’être mobilisé·es pour les salaires et les avantages sociaux entre juin et juillet 2023, ses membres ont été victimes d’une intense répression. Leonardo Azócar et Daniel Romero, délégués syndicaux, sont emprisonnés depuis.
L’«anti-impérialisme» de Maduro et de son entourage ne l’empêche pas de livrer le pétrole dont les États-Unis ont besoin par l’intermédiaire de Chevron et d’autres grandes entreprises étrangères (comme Repsol), dans un contexte où le Trésor américain les autorise à extraire l’or noir vénézuélien. L’acceptation de ces conditions néocoloniales montre les limites de l’anti-impérialisme maduriste.
Les sanctions contre le Venezuela ont été assouplies sous Biden (sous la pression de la guerre en Ukraine), mais Maduro perpétue le discours selon lequel tout serait de la faute des sanctions, comme prétexte pour faire avancer un ajustement structurel qui affecte fondamentalement celles et ceux qui vivent de leur travail. En termes politiques, au Venezuela, la dénonciation des sanctions étasuniennes (réelles, concrètes et détestables) a perdu de son efficacité politique face au mode de vie ostentatoire et luxueux de celles et ceux qui gouvernent aujourd’hui le pays.
La classe ouvrière en tant qu’élément accessoire
L’analyse de la situation de la classe ouvrière vénézuélienne comme base d’une analyse de gauche a été remplacée par la mode de la «géopolitique du pétrole». Cette géopolitique binaire ne voit que la contradiction entre l’impérialisme et l’État vénézuélien (une contradiction importante dans la réalité, certes). Elle n’est cependant pas suffisamment dialectique pour prendre en compte, dans un scénario de contradictions multiples, la situation matérielle et politique de la classe ouvrière, ses aspirations et ses options.
C’est comme s’il s’agissait d’une question accessoire, ou d’une contradiction secondaire. Le mantra des pro-Maduro pour omettre l’analyse de classe est d’empêcher la droite d’arriver au pouvoir, ignorant le fait que le Venezuela a un gouvernement qui applique les recettes économiques structurelles de la droite, seulement avec une rhétorique de gauche.
Il suffirait de parler aux travailleur·euses (et non à la bureaucratie de la centrale syndicale CBST) de Sidor, de PDVSA, aux enseignant·es et aux professeur·es d’université pour voir la terrible situation matérielle dans laquelle elles et ils vivent (salaire minimum de 4$ par mois, salaire moyen de 130$ par mois, composé de 80% de bonus), au milieu de la pire perte de libertés démocratiques depuis des décennies pour leur organisation, leur mobilisation et leurs luttes.
Les nouveaux·elles géopoliticien·nes du progressisme mettent la question des élections du 28 juillet à l’ordre du jour des grands médias internationaux (CNN, CBS et autres), mais du côté opposé de la rue. Ils ne défendent pas les intérêts de María Corina Machado et d’Edmundo González, mais ceux de Maduro et de la nouvelle bourgeoisie, avec le faux axiome que Maduro est l’égal de la classe ouvrière, sans analyser ce qu’ont été les politiques anti-ouvrières et antipopulaires de Maduro. Ils tombent dans le piège du «fétichisme juridique» en limitant leur analyse de la situation aux résultats des élections, sans aucun critère de classe. Ce n’est pas seulement que Maduro et le CNE n’ont pas réussi à montrer ce qu’ils ont fait pour donner au président la victoire aux élections du 28 juillet, mais aussi comment cette situation affecte la structure des libertés démocratiques concrètes dans lesquelles les travailleurs opèrent et survivent.
S’il n’y a pas de transparence et de légitimité dans les élections nationales, où les candidats enregistrés représentaient différentes nuances de programmes bourgeois, il est difficile de penser à restaurer les libertés démocratiques minimales dont la classe ouvrière a besoin pour se défendre contre l’offensive du capital sur son travail (droit à des salaires décents, droit de grève, liberté d’association, liberté de mobilisation, liberté d’exprimer des opinions et de s’organiser dans des partis politiques). La classe ouvrière est fondamentalement intéressée par la façon dont la situation après le 28 juillet permet ou restreint, à court terme, les libertés dont elle a besoin pour s’exprimer en tant que classe exploitée. Mais cette contradiction n’entre pas dans la logique et le discours de la nouvelle géopolitique progressiste.
Omissions et silences compromettants
Peu importe à ces «progressistes» qu’il y ait eu répression de l’organisation syndicale et politique des travailleur·ses et du peuple, ni que Maduro ait empêché tout secteur à gauche du PSUV de participer aux dernières élections du pays – même au prix de l’infiltration, de la poursuite et de l’attaque des directions du Mouvement électoral populaire (MEP), du Parti Patria Para Todos (PPT), des Tupamaros et du Parti communiste du Venezuela (PCV) lui-même afin d’y intervenir (2) !
Les partisan·nes de Maduro ne mentionnent pas qu’après le 28 juillet, le gouvernement a intensifié la répression, non plus contre la classe moyenne, mais surtout contre la classe ouvrière, envoyant en prison environ 2500 jeunes avec une rhétorique de rééducation, c’est-à-dire les soumettant à des rituels publics vexatoires de lavage de cerveau.
Ils·elles ne disent rien de la construction de deux prisons de haute sécurité pour les personnes prises en flagrant délit de protestation ou d’incitation à la protestation sur les médias sociaux. Ils ignorent l’emprisonnement de plusieurs hommes politiques de l’opposition et les menaces directes proférées à la télévision à l’encontre d’autres personnes, comme le «ministre du marteau», Diosdado Cabello, l’ancien maire de Caracas Juan Barreto, ou Vladimir Villegas, frère du ministre de la culture et président d’une commission parlementaire.
Si les personnalités publiques sont ainsi menacées, la situation est pire pour les personnes ordinaires qui ne sont pas des figures médiatiques. Récemment, nous avons assisté au déploiement de forces de sécurité en civil pour menacer des activistes, comme cela s’est produit le samedi 10 août contre Koddy Campos et Leandro Villoria, leaders de la communauté LGBTQI à Caracas.
Comme nous l’avons vu les jours suivants dans le bastion traditionnel chaviste du 23 février à Caracas, où les maisons des militant·es ont été marquées par les fonctionnaires du gouvernement pour les dissuader de manifester.
La gauche géopolitique reste silencieuse sur le nombre de personnes tuées après les élections (environ 25, selon les estimations des organisations de défense des droits de l’homme et des mouvements sociaux), prolongeant le récit selon lequel seuls des hommes de droite ont été tués. Cette affirmation est non seulement fausse, mais elle constitue un recul par rapport aux progrès réalisés en matière de droits humains au cours des périodes post-dictature dans la région.
Le progressisme géopolitique reproduit le mirage d’un gouvernement populaire qui n’existe plus, qui a été effacé par le mue et les politiques anti-ouvrières de Maduro. Il semble demander à la classe ouvrière vénézuélienne de lutter pour ses droits uniquement dans le cadre que Maduro permet, afin que les tenant·es de cette ligne puissent nourrir, de l’extérieur, l’utopie qu’ils ne peuvent pas construire dans leurs propres pays.
Ce progressisme ne voit pas que la poussée de la candidature de droite est le résultat de la proscription et de la négation de la possibilité d’une alternative de gauche. Le succès électoral du binôme Machado-González est en grande partie le résultat des erreurs politiques du Madurisme.
Qu’en est-il du pétrole?
Tous ces faits graves sont considérés par les partisan·nes de la «victoire» de Maduro comme des «détails démocratiques formels» secondaires face au danger d’avoir à nouveau une «droite sordide» au gouvernement vénézuélien. Le raisonnement est aussi dépourvu de critères de classe que de contrôle élémentaire de la réalité du pays.
Depuis novembre 2022, dans le cadre de la guerre en Ukraine, le secrétaire étasunien au Trésor a autorisé Chevron à explorer et à exporter le pétrole vénézuélien, à condition de ne pas payer d’impôts et de redevances au gouvernement vénézuélien. Des exigences néocoloniales qui n’étaient même pas connues des gouvernements antérieurs à Chávez et qui ont été acceptées par Maduro. Depuis lors, le Venezuela est redevenu un fournisseur stable de pétrole pour l’Amérique du Nord. Cela explique la délicatesse des positions de Biden et la longue attente des efforts de la triade progressiste Lula, Petro [Président de la Colombie, ndt], AMLO [Président sortant du Mexique, ndt] (dont ce dernier s’est rapidement retiré).
Il faut être prudent lorsqu’on parle de l’embargo étasunien sur le Venezuela. Il y a embargo et embargo. Celui qui a touché la nourriture, les médicaments et les pièces détachées a contribué de manière décisive à l’exode de quatre à cinq millions de travailleur·ses. Mais le Venezuela a réussi à devenir le sixième fournisseur de pétrole des États-Unis, dépassant des pays comme le Royaume-Uni et le Nigeria, sans que les nouveaux revenus de cette «ouverture pétrolière» n’améliorent le moins du monde les conditions de vie matérielles de la population.
L’enjeu au Venezuela est de savoir quel secteur des classes dirigeantes contrôlera les activités pétrolières. Soit l’ancienne et sordide bourgeoisie oligarchique, soit les nouveaux secteurs d’activité liés à l’«armée bolivarienne», enrichis sous Maduro.
L’un ou l’autre garantira l’approvisionnement géostratégique en pétrole des puissances capitalistes occidentales et limitera de plus en plus la redistribution de la rente pétrolière au peuple – parce que c’est dans la nature socio-économique des secteurs capitalistes, dans un contexte où la nature de l’État mono-extractiviste exportateur de fossiles n’a pas été touchée par le processus bolivarien.
Il faut être naïf ou mal informé pour imaginer un Maduro doté d’un programme et d’un courage suffisant pour affronter les plans impérialistes visant à remettre sur le marché mondial le pétrole que le Venezuela peut produire. Il va le favoriser et en tirer profit. C’est une énorme erreur, au nom d’une prétendue souveraineté qui serait garantie par Maduro, de fermer les yeux sur la tendance autoritaire croissante du régime à l’encontre des travailleur·ses et du peuple mécontents.
Il est également tragique, d’ailleurs, que les géopoliticiens de Maduro continuent de croire que le salut du Venezuela vient de ce qui est, en réalité, sa malédiction historique: sa richesse pétrolière. Quelque chose que même l’économiste du développement brésilien Celso Furtado, sans être socialiste ou écologiste, avait déjà signalé comme un problème majeur pour le pays où il vivait dans les années 1950.
Y a-t-il un moyen de s’en sortir?
Il est clair que la force acquise par l’opposition de droite, qui a déjà été battue aux élections plusieurs fois par Chávez et une fois par Maduro, et qui a maintenant à sa tête son aile la plus extrême, l’oligarque Maria Corina Machado, est une tragédie. Une tragédie encore plus grande est le fait que cette aile d’extrême droite ait pu gagner ou être très proche de gagner les élections. Il n’y a pas d’autre raison à l’insistance de Maduro à nier les résultats et à réprimer si durement le peuple. C’est précisément pour cette raison, parce qu’une solution pacifique est difficile à trouver et que la simple remise du gouvernement à ce secteur est difficile à digérer, que le moyen d’éviter le «bain de sang» dont les deux parties menacent le Venezuela pourrait être celui indiqué par les gouvernements brésilien et colombien: présentation des résultats, négociations entre les deux parties, en premier lieu avec Maduro lui-même (le groupe de gouvernements refuse de dialoguer et d’examiner les résultats de l’opposition).
S’il est possible d’espérer un minimum de libertés démocratiques, la libération des prisonnier·es politiques, l’arrêt de la répression, une large liberté syndicale et partisane, il est également possible de négocier des clauses protégeant PDVSA.
En ce moment, soutenir la solution négociée proposée par la Colombie et le Brésil – qui est soutenue par le Chili et répudiée, bien sûr, par le dictateur Daniel Ortega – est la bonne politique, car elle est beaucoup plus prudente, plus opportune et beaucoup plus favorable aux travailleur·ses et au peuple du pays. Cette politique, en contradiction avec un régime de plus en plus autoritaire qui réprime les jeunes, les syndicalistes et les opposant·es de gauche, est moins naïve et bureaucratique que la simple approbation des irrégularités et de l’arbitraire du gouvernement. D’une part, elle permet d’affirmer que l’extrême droite ne doit pas dépecer PDVSA et les quelques acquis sociaux qui subsistent. D’autre part, elle ne part pas du postulat erroné que Maduro et son entourage militaro-politique bureaucratique-bourgeois garantiront la «souveraineté» vénézuélienne sur tout.
Souveraineté nationale et souveraineté populaire
Le progressisme latino-américain, comme le tiers-mondisme et la gauche stalinienne, utilise le terme de souveraineté en amalgamant deux significations différentes: la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Certes, la souveraineté nationale est souvent une condition du plein exercice de la souveraineté populaire. Le problème est que les régimes (et les mouvements d’opinion) les plus divers, progressistes ou régressifs, s’approprient la défense de la souveraineté nationale face à la pression du marché mondial et de l’impérialisme.
La souveraineté nationale était au cœur des mouvements anticoloniaux et d’indépendance nationale, ainsi que des populismes de développement national du 20e siècle. Mais elle est au cœur de la défense des dictatures militaires (comme celles du cône sud de l’Amérique latine dans les années 1960), des dictatures théocratiques (comme celle de l’Iran), des bureaucraties d’État et, comme nous le voyons avec Modi et Trump, des gouvernements d’extrême droite.
Oui, la défense de la souveraineté nationale et même les confrontations avec l’impérialisme peuvent avoir lieu sous des régimes très régressifs. Ainsi, la défense de la souveraineté nationale n’a de sens qu’en lien avec la défense de la souveraineté populaire, l’auto-organisation démocratique des masses, la conquête des libertés et des droits qui renforcent le bloc historique des classes populaires, qui peuvent construire des alternatives au capitalisme mondial et aux impérialismes qui le structurent.
De même, après les expériences staliniennes du 20e siècle, nous ne pouvons pas identifier mécaniquement les peuples avec leurs dirigeant·es politiques, qui peuvent ou non les représenter, dans une relation toujours dynamique. Lorsque cette relation se rompt – comme elle s’est rompue au Venezuela – les libertés démocratiques deviennent un point d’appui fondamental pour toute lutte pour la souveraineté, à la fois populaire et, de fait, nationale. Par conséquent, il n’y aura pas de forces pour garantir la souveraineté du Venezuela sur son territoire et ses richesses sans la récupération de la souveraineté populaire.
La démocratie n’est-elle pas importante?
Les régimes démocratiques bourgeois ne sont pas le régime auquel nous, socialistes, aspirons stratégiquement: nous rêvons et luttons pour construire des organisations démocratiques de base, la démocratie directe, le pouvoir populaire – comme embryons d’une forme nouvelle et plus vitale de démocratie, exercée par les travailleur·ses et les secteurs populaires – dans les processus de l’offensive révolutionnaire. Mais la démocratie formelle est-elle si méprisable que nous nous moquons des élections qui nous politisent et dont les résultats sont truqués?
Dans un monde de plus en plus menacé par une constellation de forces d’extrême droite, la lutte est et sera encore longue pour défendre les libertés et les droits démocratiques, y compris au sein des institutions des régimes démocratiques bourgeois contre les assauts de l’extrême droite, par essence antidémocratique – comme nous l’avons déjà vécu avec Trump, Bolsonaro, Erdogan, Orbán, et ainsi de suite.
Comment une gauche qui méprise la démocratie au point de cautionner la manipulation des élections peut-elle faire face aux peuples et aux travailleur·ses du monde entier et dans les pays (de plus en plus nombreux) où la lutte contre l’extrême droite est vitale? Comment va-t-elle résoudre cette contradiction? Ou bien s’agit-il d’une contradiction de plus qui n’a pas d’importance?
Les secteurs qui se disent de gauche et qui soutiennent les régimes répressifs sont également très mal placés, stratégiquement, dans le processus nécessaire de construction politique, théorique et pratique d’une nouvelle utopie anticapitaliste, capable de réenchanter de larges couches de jeunes, de femmes, de ceux qui vivent de leur travail et des peuples opprimés. Une nouvelle gauche de masse anticapitaliste doit être démocratique, indépendante et s’opposer aux modèles autoritaires, sinon elle n’existera pas.
Mais il reste une question qui devrait être plus importante que toutes les autres pour toute organisation militante et socialiste en Amérique latine et dans le monde: comment sommes nous perçu·es aux yeux et face aux attentes des travailleurs, du peuple et de ce qui reste de la gauche non bureaucratique au Venezuela?
Ces secteurs à la gauche du PSUV [Parti socialiste unifié du Venezuela, parti de Maduro, ndt], ou les critiques caché·es au sein du PSUV lui-même, aujourd’hui fragmentés, persécutés, certains emprisonnés, beaucoup en pleine activité contre la répression gouvernementale, seront-ils abandonnés à leur sort?
Pour notre part, soutenir leurs luttes, encourager leur unité pour résister, les aider à survivre et à respirer est la tâche internationaliste prioritaire. Tout ce qui ne les prend pas en compte relève peut-être de la géopolitique, mais pas de l’internationalisme. Après tout, la seule garantie stratégique d’un Venezuela souverain, de meilleures conditions de vie et de travail, d’une réorganisation et d’un pouvoir populaire à moyen terme, est entre les mains de ces sujets sociaux et politiques qui ont joué un rôle de premier plan dans les années dorées du processus bolivarien, et non entre les mains des fossoyeurs du processus.
Ana Carvalhaes Luis Bonilla-Molina
Ana C. Carvalhaes est journaliste, titulaire d’un master en économie politique internationale et membre du PSOL (Brésil).
Luís Bonilla-Molina est professeur d’université, pédagogue critique et président de la Société vénézuélienne d’éducation comparée.
Publié sur Viento Sur en castillan, adapté et traduit par la Rédaction. Version intégrale sur notre site.
1 Large union de partis de gauche, créée par le PT brésilien en 1990 et composée aujourd’hui de plus de 100 organisations, dont le parti communiste de Cuba, le parti d’Ortega au Nicaragua, Evo Moralez et son parti MAS en Bolivie. Le Frente Amplio d’Uruguay a pris ses distances avec Maduro depuis plus d’un an. Aujourd’hui, Lula, Petro et Lopez Obrador ont définitivement «divisé» le bloc.
2 Le Parti communiste du Venezuela a fait l’objet d’une interdiction de présenter des candidats en août 2023.