Relèvement du salaire minimum, la fin du monde?
Dès l’annonce par le NFP de sa volonté de relever le Smic de 14% (de 1400 à 1600 euros), les prêtre·sses de l’apocalypse se sont succédé·es pour annoncer le pire et dénoncer les apprenti·es-sorcier·ères de la gauche sous influence marxiste.
Selon nombre «d’expert·es», les prévisions étaient terrifiantes: suppression de 100000 à 200000 emplois, coût de 20 milliards d’euros pour les finances publiques, soit 0,7% du PIB (Tribune dans Le Monde, 16 juillet 2024). L’ancien premier ministre Attal y est allé plus franchement, pronostiquant la disparition de 500000 emplois.
Des «prévisions» idéologiques
Pourtant, les 3 millions de bénéficiaires de cette hausse n’entreraient pas encore dans le cercle des millionnaires, cette augmentation du Smic le portant à 70% du salaire médian. Pas de quoi acheter un voilier ou un jet.
Déjà en 2022, une «analyse chiffrée rigoureuse» par un «groupe d’expert·es» prédisait qu’un relèvement de 1% du Smic aboutirait à détruire 30000 emplois. Mais d’autres «expert·es» arrivent à des conclusions un peu différentes. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) y voit simplement un «coût» de 0,3% du PIB. L’Institut Montaigne l’estime à 0,7% du PIB. Pour tous·tes ces braves économistes, qui ont bien entendu un salaire largement au-dessus du Smic, la catastrophe ne fait aucun doute et le risque de pauvreté des personnes les plus fragiles en serait ainsi accru.
Autre crainte pour les «expert·es» et les milieux patronaux: Cette hausse se traduirait par une «smicardisation» du salariat, bien au-delà des 17% de personnes aujourd’hui payées ce minimum. Les bas salaires seraient ainsi rattrapés par la hausse du Smic, avec des risques accrus de revendications en cascade. Étonnamment, ces prophéties de malheur ne se sont pas réalisées dans trois pays européens, dont les 3e et 6e économies mondiales de 2023.
Royaume-Uni
Le conservateur britannique David Cameron (2010–2016) voulait réduire les dépenses sociales publiques. Pour cela, son gouvernement a imposé une augmentation substantielle du salaire minimum, en forçant les patron·nes à mieux payer leurs salarié·es.
Créé en 1999, le salaire minimum était très bas à l’origine – 47% du salaire médian. En 25 ans, il a augmenté de 70% en valeur réelle. Cette année, il a encore été relevé de 10%, le portant à 64% du salaire médian. Or, pendant toute cette période, le chômage est resté stable en Grande-Bretagne, actuellement à 4,4%.
Allemagne
La culture de l’austérité et de l’équilibre budgétaire est largement partagée en Allemagne, y compris à gauche et dans les syndicats. Le salaire minimum n’y a été instauré qu’en 2015, le futur Chancelier Olaf Scholz avait besoin d’effacer les années de bas salaires des réformes Hartz IV de son prédécesseur Gerhard Schröder. Le salaire minimum a atteint 12€ par heure en octobre 2022 (contre 10,45€ auparavant), et concernait 5,8 millions d’emplois, soit 14,8% des salarié·es. Voilà une modification substantielle, dont ont surtout bénéficié les femmes et les emplois dans l’est du pays. Le gouvernement a prévu de le porter à 12,80€ en janvier 2025.
À nouveau, contredisant les «lois» de l’économie libérale, pas de hausse de chômage, ni bien sûr d’effondrement du capitalisme outre-Rhin. La hausse des faillites est plutôt attribuée à la montée des taux d’intérêts et à l’inflation du prix de l’énergie.
Scholz maintient ainsi son objectif d’atteindre 14 ou 15 euros. Le salaire minimum a ainsi augmenté de 11,6% par rapport à 2015 en termes réels. Mais les patron·nes ont réussi pendant la même période à faire reculer de 3,8% les autres salaires négociés avec les syndicats. L’économie n’est pas une science exacte, les rapports de force sociaux demeurent encore prédominants.
État espagnol
Depuis l’arrivée du gouvernement Sanchez en 2018, le salaire minimum interprofessionnel (SMI) a considérablement augmenté (+54%), avec l’objectif de le porter à 60% du salaire médian. La hausse de 22% en 2019 avait provoqué un commentaire acerbe de la Banque d’Espagne, qui estimait qu’elle avait empêché la création de 154000 emplois.
Or, depuis 2018 l’économie a créé près de 1,8 millions d’emplois, et le taux de chômage officiel a baissé de 14,5% à 11,7%. Face à ces chiffres, les expert·es économiques reconnaissent aujourd’hui que la hausse du SMI a eu des effets «limités». Cette réforme a surtout amélioré les conditions de 1,5 millions de salarié·es et réduit les inégalités entre hommes et femmes.
Paradoxalement, la France connaît un taux de salarié·es au Smic (17%) beaucoup plus important que dans dautres pays européens (6,7% au Royaume-Uni, 13,7% dans l’État espagnol, 14,8% en Allemagne), alors que nos «expert·es» économistes dénoncent régulièrement le «coût élevé» du travail en France.
Tous les capitalistes, avec l’approbation des économistes libéraux bourgeois, annoncent les pires catastrophes lorsqu’il s’agit d’augmenter les salaires. Que ce soit pour réaliser l’égalité salariale, pour l’adaptation à l’inflation, ou même pour les salaires les plus bas. Il s’agit d’une logique de classe, pas d’une loi économique.
José Sanchez