Nous soulever, c’est commencer à nous sauver

Pour un soulèvement écologique. Dépasser notre impuissance collective: dans son essai paru en 2023, Camille Étienne prône une écologie libératrice caractérisée par une solidarité intra- et intergénérationnelle. Avec cependant quelques limites.

Camille Etienne parle au micro lors d'un rassemblement contre le projet de huit nouveaux puits de pétrole en Gironde
Camille Etienne a pris la parole lors d’un rassemblement contre le projet de huit nouveaux puits de pétrole en Gironde, Bordeaux, 10 février 2024.
Alexandre Carré / Vert

La militante écologiste Camille Étienne dénonce les mensonges et les actions immorales des «décideur·euses». Pour la jeune autrice, il est temps de sortir d’une paralysie de la population construite par les puissances d’État pour se soulever, tous·tes ensemble, contre les manipulations institutionnelles. 

Son livre redonne espoir à une génération dépassée par un sentiment d’impuissance face à la méga-machine planétaire auto­destructrice: le capitalisme et le discours du marché. Par une vulgarisation scientifique remarquable, la militante rappelle la gravité de l’effondrement actuel, mais souhaite surtout réveiller un pouvoir collectif populaire oublié, puisque réprimé et manipulé par les dominant·es. 

Solidarité du corps social

L’autrice refuse légitimement toute responsabilité individuelle face à la crise écologique et climatique. Bien que certains gestes individuels aillent de pair avec la hausse des émissions de CO₂, les citoyen·nes souffrent des mécanismes psychologiques précis que les multinationales utilisent afin de les pousser à consommer leurs produits: l’art de manipuler l’opinion permet aux géants polluants «de contrôler les masses et de les mobiliser à volonté sans qu’elles s’en rendent compte». De plus, les lobbys se multiplient entre multinationales et institutions scientifiques afin d’orienter les recherches dans un sens favorable à l’entreprise en question. De telles associations absurdes, comme le partenariat entre l’entreprise Total et le master de «Politique publique énergétique» à Paris, sont loin d’être rares. 

Au fur et à mesure des chapitres, l’autrice nous rend compte des stratégies dont lesquels nous sommes tous·tes victimes et de la nécessité d’inverser la charge de culpabilité. Ainsi, les grandes industries jettent la faute sur le·la consommateur·rice pour déplacer cible et attention, alors que ce sont justement celles-ci qui doivent cesser profit et carnage environnemental.

Etienne met en garde contre la division de la population face aux choix écologiques de chacun·e. Il ne faut pas oublier que les structures sociales nous rendent tous·tes inégaux·ales face aux choix que nous prenons dans notre quotidien. Dans cette adversité sociale réside justement une stratégie politique d’inaction: «opposer l’écologie au peuple, c’est s’assurer d’empêcher le soulèvement collectif». Ne faisons pas peser le poids et la responsabilité sur les plus pauvres ou les personnes âgées dépassées par les changements.

Manque d’approche politique concrète

L’essai appuie sur l’inaction délibérée des décideur·euses face aux enjeux actuels. Pour Étienne, il est clair que «l’Etat privilège la production, le profit des entreprises, à notre bien-être, à nos vies». Malgré nos accords envers son «écologie libératrice», la militante n’évoque que des actes individuels comme solutions concrètes ; il manque une approche politique claire permettant de changer les actions problématiques aux niveaux concernés et dénoncés. En effet, ses encouragements à la participation à toute manifestation dénonçant les structures menaçant l’environnement, ainsi qu’à une sobriété opposée au fonctionnement du système capitaliste, restent deux formes d’actes individuels qui ramènent la responsabilité sur la population, sensée alors mener cette écologie individualiste seule face aux coupables. 

Viser des ruptures systémiques

Pour créer un nouvel espace démocratique prometteur d’une véritable liberté collective, il faut proposer des résolutions écosocialistes concrètes et collectives afin d’assurer un changement général du système. Politique et crise environnementale sont liées: il s’agit de réinventer notre ontologie à notre planète, nos valeurs et notre rapport au bonheur, cela par des mesures politiques atteignables. 

Notre mouvement avance par exemple trois axes revendicatifs précis applicables: premièrement, un contrôle démocratique des moyens de production, accompagné d’une abolition de la propriété privée des ressources naturelles et des ressources du savoir. Deuxièmement, une réduction forte du temps de travail, qui permettrait un ralentissement de la production, d’une part, mais également une nouvelle définition de nos valeurs sociales, d’autre part. Finalement, nous soutenons la mise en place d’un contrôle démocratique des outils financiers et d’une socialisation du secteur du crédit: une réforme fiscale est nécessaire afin de financer les mesures de transitions écologiques.

L’ouvrage déconstruit avec ardeur les stratégies du système pour empêcher une lutte écologique large. Une belle introduction pour entamer une réflexion sur ce que ce système devrait être.

Zélie Stauffer