Ukraine
Résistance populaire, bénévolat et rapports de classe et de genre dans l’Ukraine en guerre
Nous reproduisons ici des extraits de la recension par Catherine Samary de l’ouvrage de Daria Saburova Travailleuses de la résistance. Les classes populaires ukrainiennes face à la guerre, publié aux éditions du Croquant.
Daria Saburova nous livre une passionnante enquête de terrain en temps de guerre, déployée pendant trois mois dans la cité minière de Krivih Rih. Elle se centre sur le «travail de résistance» bénévole des femmes des classes populaires de cette ville. Le point de vue genré et de classe se combine à une approche contextualisée qui rejette les stéréotypes et visions linéaires de l’histoire.
L’autrice veut ancrer son étude à partir du point de vue des travailleuses bénévoles interrogées. Elle en révèle l’ambivalence entre «résistance populaire» (pour aider les hommes au front) et «travail gratuit» de femmes des classes populaires. Saburova poursuit l’analyse du dit «travail bénévole» incorporant une hétérogénéité et des hiérarchies sociales insérées dans un système: les grandes organisations humanitaires captent des ressources spécifiques et rémunèrent quant à elle leurs «bénévoles» des classes moyennes – femmes et hommes occupant des fonctions spécifiques de responsabilité. C’est ce que le deuxième chapitre explore.
Le troisième chapitre de l’ouvrage fournit des éclairages historiques sur les restructurations économiques et les luttes politiques sous-jacentes à ces mécanismes affectant l’Ukraine, «de l’indépendance à la guerre».
L’ouvrage se termine sur «le nouvel ordre symbolique» produit par les interactions de transformations profondes à diverses échelles spatiales et sociales. Comment la guerre transforme-t-elle les comportements et choix des couches populaires étudiées dans cette région massivement «russophone»? Comment l’invasion russe impacte-t-elle les rapports à la langue – russe et ukrainienne? Saburova analyse à quel point les mots eux-mêmes sont ambivalents et bousculés par la guerre, recouvrant aussi des réalités sociales différenciées.
Le concept de «travail de résistance» qu’invente Saburova lui permet aussi – au-delà des dimensions féministes et de classe – d’établir un lien entre enjeux humanitaires et enjeux politiques, associés à la guerre. Il s’agit d’un de ces multiples terrains où «l’issue de la guerre déterminera les possibilités de reconfiguration des rapports de force» – une des questions ouvertes par cet émouvant et passionnant ouvrage. Il faut, tout simplement, le lire.
Catherine Samary
Recension complète à retrouver sur le site des éditions du Croquant
Daria Saburova donnera une conférence lors du festival Les Dissidentes ↗︎ dimanche 15 septembre