Soutien critique à l’initiative responsabilité environnementale
Le 9 février prochain, la population suisse sera appelée à voter sur l’initiative « Pour la responsabilité environnementale ». Pourquoi faut-il soutenir cette dernière, tout en repensant dès aujourd’hui le discours écologique qu’elle promeut et défendre une écologie populaire qui puisse parler largement aux travailleur·euses ?

Le texte de l’initiative déposée par les Jeunes Vert·es demande que les activités économiques n’utilisent pas plus de ressources et n’émettent pas plus de polluants que ce que les écosystèmes sont capables de renouveler. Le jour du dépassement, calculé chaque année par l’ONG Global Footprint Network, marque le jour de l’année lors duquel les ressources de la planète ont été épuisées. En 2024, la Suisse l’a atteint le 13 mai tandis que l’Équateur l’a atteint le 24 novembre.
Cette date symbolique montre des inégalités entre les pays, mais occulte les inégalités internes en fonction du niveau de vie. Par exemple, les 1 % les plus riches de la planète ont épuisé leur budget carbone 2025 en seulement 10 jours. En Suisse, selon l’ONG Solidar, les émissions des trois personnes les plus riches du pays sont supérieures à l’ensemble des émissions issues de la consommation des 44 millions de personnes les plus pauvres de la planète. Une enquête Sotomo publiée en janvier 2024 montre que les personnes qui gagnent le plus (revenu mensuel brut supérieur à 16 000 francs) ont une empreinte carbone plus importante.
Respecter les limites planétaires
L’initiative vise à ce que les activités économiques suisses et l’impact de la consommation en Suisse, produite en Suisse ou à l’étranger, se fassent sans dépasser les limites planétaires. Le concept de limites planétaires, introduit par Johan Rockström en 2009, identifie neuf limites critiques (changement climatique, érosion de la biodiversité, etc.) dont le dépassement menacerait la vie sur terre. En 2023, une mise à jour a révélé que six des neuf limites ont été déjà franchies. Le dépassement des limites planétaires a d’ores et déjà des effets bien concrets, en particulier sur les populations précarisées, racisées et des pays du Sud Global, qui ont historiquement le moins contribué à cette situation.
Les inondations d’octobre 2024 à Valence ou le cyclone Chido à Mayotte en décembre 2024 en sont des exemples. Ces catastrophes rappellent que la crise écologique est intrinsèquement liée au système capitaliste et impérialiste et que l’écologie ne peut être dissociée des luttes anticoloniales et anti-impérialistes.
Plus facile d’imaginer la fin du monde
que la fin du capitalisme
Cette initiative remet en question la croissance infinie et le profit des capitalistes. Il n’est alors pas surprenant de voir s’élever contre elle une coalition constituée de partis bourgeois et d’extrême droite, notamment soutenue par Économiesuisse et l’Union Suisse des paysans. Le comité «Non à la décroissance» dénonce une « initiative utopique qui menacerait l’économie suisse ». Sans surprise, le Conseil fédéral et le Parlement recommandent également de rejeter l’initiative. En face, les Vert·es, le PS, la Jeunesse socialiste, Ensemble à Gauche et des ONG telles qu’Uniterre soutiennent le texte.
Malgré cette alliance pour le oui, il est bien probable que ce texte soit rejeté. En effet, il est de plus en plus difficile pour une majorité de personnes en Suisse de clore les fins de mois. Le prix des produits augmente, les loyers augmentent, les primes d’assurance maladie assomment, mais les salaires ne suivent pas. En ces temps où de plus en plus de personnes survivent dans la précarité, les arguments économiques pèsent lourd et risqueraient bien de convaincre la population de ne pas soutenir cette initiative.
L’écologie contre les travailleur·euses :
une impasse
L’initiative prévoit que « l’acceptabilité sociale » soit prise en compte par la confédération et les cantons dans les mesures adoptées pour garantir le respect de la capacité de charge de l’environnement. Dans un pays comme le nôtre, aucun doute que cela se soldera par des plans de licenciement collectifs ou autres mesures antisociales, justifiées par un discours axé sur la responsabilité et l’acceptabilité sociale.
Sans propositions concrète, comme la reconversion dans des secteurs écologiques ou sociaux ou une planification écologique, le principe de l’initiative risque de se retourner contre les travailleur·euses. Cela nous rappelle l’urgence pour le mouvement écologiste de renouer avec les luttes avec les travailleur·euses.
Ella-Mona Chevalley